Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 7.djvu/288

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à ce souvenir, jaloux de ce dieu, en regardait tout éloge comme un acte d’hostilité. Celui qu’en fit Fabre d’Églantine, avant son arrestation, contribua certainement à le lui rendre implacable.

Ceci était un léger signe, non d’hostilité, mais d’émancipation. Politiquement dévoué à Robespierre et le voulant pour dictateur, moralement Saint-Just était seul.

Seul à la Convention, il s’était vu non moins seul dans le Comité de salut public. Sa solitude intérieure plus profonde encore, son état d’abstraction qui le tenait à mille ans au delà ou en deçà, lui rendait chaque jour le présent de plus en plus intolérable. Sa chambre des morts le suivait idéalement. Il ne vivait volontiers qu’aux armées, sur les chemins ; et là encore, dans un grand isolement, tenant les généraux à distance dans le respect et la terreur, haïssant d’avance en eux l’avènement du pouvoir militaire, la brutalité du sabre, et croyant qu’on ne pouvait le tenir trop ferme, trop bas. Il avait chassé les filles de l’armée ; un soldat qui garda la sienne un jour de plus et s’en vanta, Saint-Just le fit fusiller.

À travers les embarras de ce rôle étrange de dictateur des armées, il ne laissait pas que d’écrire. Au milieu des généraux tremblants et courbés, il lui arrivait souvent de tirer un agenda qu’il portait toujours, et l’on croyait qu’il écrivait des ordres de mort. C’étaient des rêves généralement philanthropiques, des vœux, des idées pour la Repu-