Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 7.djvu/289

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blique de l’avenir, où il rejetait ses espérances, les lois d’une cité agricole où régneraient l’égalité et la vertu.

Chose étrange ! le proscripteur et le proscrit, Saint-Just et Cordorcet, écrivaient en même temps, l’un dans la cachette, l’autre à la tête des armées et tout-puissant, et tous deux écrivaient des rêves, — bien divers, mais toujours empreints d’un amour profond de l’humanité.

Ces notes de Saint-Just, qu’une main systématique a prétendu ordonner pour former un livre, devaient être laissées dans leur succession accidentelle, quelque confuse qu’elle semblât, comme elles lui sont venues à Paris ou sur les chemins, telle aux armées et devant l’ennemi, telle dans les nuits laborieuses du Comité, telle en rêvant à Monceaux ou à la Madeleine.

Il y a des mots d’une telle solitude de cœur, d’un tel élan vers les âges futurs, qu’on est bien tenté de croire que le présent n’est plus pour lui. L’amitié vit-elle encore ? Oui, mais sans doute affaiblie. D’autant plus embrasse-t-il l’humanité à naître avec une tendresse sublime : « L’homme, obligé de s’isoler du monde et de lui-même, jette son ancre dans l’avenir et presse sur son cœur la postérité innocente des maux présents. »

C’est l’amour de l’avenir qui le rend terrible à son temps. Gardien austère de la Révolution, dont il répond aux générations futures, il semble enfermé de plus en plus dans une île âpre, escarpée et