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des Vies des saints. Les moines les écrivirent, mais le peuple les faisait. Cette jeune végétation peut jeter des feuilles et des fleurs par les lézardes de la vieille masure romaine convertie en monastère, mais elle n’en vient pas à coup sur. Elle a sa racine profonde dans le sol ; le peuple l’y sème, et la famille l’y cultive, et tous y mettent la main, les hommes, les femmes et les enfants. La vie précaire, inquiète, de ces temps de violence, rendait ces pauvres tribus imaginatives, crédules pour leurs propres rêves, qui les rassuraient. Rêves étranges, riches de miracles, de folies absurdes et charmantes.

Ces familles, isolées dans la forêt, dans la montagne (comme on vit encore au Tyrol, aux Hautes-Alpes), descendant un jour par semaine, ne manquaient pas au désert d’hallucinations. Un enfant avait vu ceci, une femme avait rêvé cela. Un saint tout nouveau surgissait. L’histoire courait dans la campagne, comme en complainte, rimée grossièrement. On la chantait et la dansait le soir au chêne de la fontaine. Le prêtre qui le dimanche venait officier dans la chapelle des bois trouvait ce chant légendaire déjà dans toutes les bouches. Il se disait : « Après tout, l’histoire est belle, édifiante… Elle fait honneur à l’Église. Vox populi, vox Dei !… Mais comment l’ont-ils trouvée ? » On lui montrait des témoins véridiques, irrécusables, l’arbre, la pierre, qui ont vu l’apparition, le miracle. Que dire à cela ?

Rapportée à l’abbaye, la légende trouvera un moine, propre à rien, qui ne sait qu’écrire, qui est