Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/357

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tumées, l’on bâille ; qu’un chant nasillard continue dans le vieux latin, l’on bâille. Tout est prévu ; on n’espère rien de ce monde. Les choses reviendront les mêmes. L’ennui certain de demain fait bâiller dès aujourd’hui, et la perspective des jours, des années d’ennui qui suivront, pèse d’avance, dégoûte de vivre. Du cerveau à l’estomac, de l’estomac à la bouche, l’automatique et fatale convulsion va distendant les mâchoires sans fin ni remède. Véritable maladie que la dévote Bretagne avoue, l’imputant, il est vrai, à la malice du Diable. Il se tient tupi dans les bois, disent les paysans bretons ; à celui qui passe et garde les bêtes il chante vêpres et tous les offices, et le fait bâiller à mort[1].


Être vieux, c’est être faible. Quand les Sarrasins, les Northmans, nous menacent, que deviendrons-nous si le peuple reste vieux ? Charlemagne pleure, l’Église pleure. Elle avoue que les reliques, contre ces démons barbares ne protègent plus l’autel[2]. Ne faudrait-il pas appeler le bras de l’enfant indocile qu’on allait lier, le bras du jeune géant qu’on voulait paralyser ? Mouvement contradictoire qui remplit le neuvième siècle. On relient le peuple, on le lance. On le craint et on l’appelle. Avec lui, par lui, à la hâte, on fait des barrières, des abris qui arrêteront

  1. Un très illustre Breton, dernier homme du Moyen-âge, qui pourtant fut mon ami, dans le voyage si vain qu’il fit pour convertir Rome, y reçut des offres brillantes. « Que voulez-vous ? disait le Pape. — Une chose : être dispensé du Bréviaire… Je meurs d’ennui. »
  2. C’est le célèbre aveu d’Hincmar.