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trilogie touchante, le crescendo admirable de Riquet à la Houppe, de Peau-d’Âne, et de la Belle et la Bête. L’amour ne se rebute pas. Sous ces laideurs, il poursuit, il atteint la beauté cachée. Dans le dernier de ces contes, cela va jusqu’au sublime, et je crois que jamais personne n’a pu le lire sans pleurer.

Une passion très réelle, très sincère, est là-dessous, l’amour malheureux, sans espoir, que souvent la nature cruelle mit entre les pauvres âmes de condition trop différente, la douleur de la paysanne de ne pouvoir se faire belle pour être aimée du chevalier, les soupirs étouffés du serf quand, le long de son sillon, il voit, sur un cheval blanc, passer un trop charmant éclair, la belle, l’adorée châtelaine. C’est, comme dons l’Orient, l’idylle mélancolique des impossibles amours de la Rose et du Rossignol. Toutefois, grande différence : l’oiseau et la fleur sont beaux, même égaux dans la beauté. Mais ici l’être inférieur, si bas placé, se fait l’aveu : « Je suis laid, je suis un monstre ! » Que de pleurs !… En même temps, plus puissamment qu’en Orient, d’une volonté héroïque, et par la grandeur du désir, il perce les vaines enveloppes. Il aime tant, qu’il est aimé, ce monstre, et il en devient beau.

Une tendresse infinie est dans tout cela. — Cette âme enchantée ne pense pas à elle seule. Elle s’occupe aussi à sauver la nature et toute la société. Toutes les victimes d’alors, l’enfant battu par sa marâtre, la cadette méprisée, maltraitée de ses aînées, sont ses favorites. Elle étend sa compassion sur la dame même du château, la plaint d’être dans les mains de ce féroce baron (Barbe-Bleue). Elle s’atten-