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Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/394

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la Flandre, et je n’ai pas seulement un destrier de bataille. Le mien boite depuis le tournoi. Arrange-toi. Il me faut cent livres… — Mais, monseigneur, où les trouver ? — Mets tout le village à sac, si tu veux. Je vais te donner assez d’hommes… Dis à tes rustres qu’ils sont perdus si l’argent n’arrive pas, et, toi le premier, tu es mort… J’ai assez de toi. Tu as le cœur d’une femme ; tu es un lâche, un paresseux. Tu périras, tu la payeras ta mollesse, ta lâcheté. Tiens, il ne tient presque à rien que tu ne descendes pas, que je ne te garde ici… C’est dimanche ; on rirait bien si on te voyait d’en bas gambiller à mes créneaux. »

Le malheureux redit cela à sa femme, n’espère rien, se prépare à la mort, recommande son âme à Dieu. Elle, non moins effrayée, ne peut se coucher ni dormir. Que faire ? Elle a bien regret d’avoir renvoyé l’Esprit. S’il revenait !… Le matin, lorsque son mari se lève, elle tombe épuisée sur le lit. À peine elle y est qu’elle sent un poids lourd sur sa poitrine ; elle halète, croit étouffer. Ce poids descend, pèse au ventre, et en même temps à ses bras elle sent comme deux mains d’acier. « Tu m’as désiré… Me voici… Eh bien, indocile, enfin, enfin, je l’ai donc, ton âme ? — Mais, messire, est-elle à moi ? Mon pauvre mari ! vous l’aimiez… Vous l’avez dit… Vous promettiez… — Ton mari ! as-tu oublié ?… es-tu sûre de lui avoir toujours gardé ta volonté ?… Ton âme ! je te la demande par bonté, mais je l’ai déjà…

« — Non, messire, dit-elle encore par un retour de fierté, quoiqu’en nécessité si grande. Non, messire, cette âme est à moi, à mon mari, au sacrement…

« — Ah ! petite, petite sotte ! incorrigible ! Ce jour