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Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/403

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les formalités. J’ai des mœurs, je me fais scrupule… Soyons un pour l’éternité.

« — Messire, dans l’état où je suis, que dirais-je ? Oh ! je l’ai senti, trop bien senti, que dès longtemps vous êtes toute ma destinée. Vous m’avez malicieusement caressée, comblée, enrichie, afin de me précipiter… Hier, quand le lévrier noir mordit ma nudité, sa dent brûlait… J’ai dit : « C’est lui. » le soir, quand cette Hérodiade salit, effraya la table, quelqu’un était entremetteur pour qu’on promît mon sang… C’est vous.

« — Oui, mais c’est moi qui t’ai sauvée et qui t’ai fait venir ici. J’ai fait tout, tu l’as deviné. Je t’ai perdue, et pourquoi ? C’est que je te veux sans partage. Franchement, ton mari m’ennuyait. Tu chicanais, tu marchandais. Tout autres sont mes procédés. Tout ou rien. Voilà pourquoi je t’ai un peu travaillée, disciplinée, mise à point, mûrie pour moi… Car telle est ma délicatesse. Je ne prends pas, comme on croit, tant d’âmes sottes qui se donneraient. Je veux des âmes élues, à un certain état friand de fureur et de désespoir… Tiens, je ne peux te le cacher, telle que tu es aujourd’hui, tu me plais ; tu t’embellis fort ; tu es une âme désirable… Oh ! qu’il y a longtemps que je t’aime !… Mais aujourd’hui j’ai faim de toi…

« Je ferai grandement les choses. Je ne suis pas de ces maris qui comptent avec leur fiancée. Si tu ne voulais qu’être riche, cela serait à l’instant même. Si tu ne voulais qu’être reine, remplacer Jeanne de Navarre, quoiqu’on y tienne, on le ferait, et le roi n’y perdrait guère en orgueil, en méchanceté. Il est plus