Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/406

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peu rassurante lueur. Elle-même avait peur de faire peur. Elle ne les baissait pas. Elle regardait de côté ; dans l’obliquité du rayon, elle en éludait l’effet. Brunie tout à coup, on eût dit qu’elle avait passé par la flamme. Mais ceux qui observaient mieux sentaient que cette flamme plutôt était en elle, qu’elle portait un impur et brûlant foyer. Le trait flamboyant dont Satan l’avait traversée lui restait, et, comme à travers une lampe sinistre, lançait tel reflet sauvage, pourtant d’un dangereux attrait. On reculait, mais on restait, et les sens étaient troublés.

Elle se vit à l’entrée d’un de ces trous de troglodyte, comme on en trouve d’innombrables dans certaines collines du Centre et de l’Ouest. C’étaient les Marches, alors sauvages, entre le pays de Merlin et le pays de Mélusine. Des landes à perte de vue témoignent encore des vieilles guerres et des éternels ravages, des terreurs, qui empêchaient le pays de se repeupler. Là le Diable était chez lui. Des rares habitants la plupart lui étaient fervents, dévots. Quelque attrait qu’eussent pour lui les âpres fourrés de Lorraine, les noires sapinières du Jura, les déserts salés de Burgos, ses préférences étaient peut-être pour nos Marches de l’Ouest. Ce n’était pas là seulement le berger visionnaire, la conjonction satanique de la chèvre et du chevrier, c’était une conjuration plus profonde avec la nature, une pénétration plus grande des remèdes et des poisons, des rapports mystérieux dont on n’a pas su le lien avec Tolède la savante, l’université diabolique.