Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/412

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Hélas ! ils sont partis ! Douce et navrante plainte. Juste ? Non. Que je m’oublie mille fois plutôt que de les oublier ! Et, cependant, quoi qu’il en coûte, on est obligé de le dire, certaines traces échappent, sont déjà moins sensibles ; certains traits du visage sont, non pas effacés, mais obscurcis, pâlis. Chose dure, amère, humiliante, de se sentir si fuyant et si faible, onduleux comme l’eau sans mémoire ; de sentir qu’à la longue on perd du trésor de douleur qu’on espérait garder toujours !… Rendez-la-moi, je vous prie ; je tiens trop à cette riche source de larmes… Retracez-moi, je vous supplie, ces effigies si chères… Si vous pouviez du moins m’en faire rêver la nuit !


Plus d’un dit cela en novembre. Et, pendant que les cloches sonnent, pendant que pleuvent les feuilles, ils s’écartent de l’église, disant tout bas : « Savez vous bien, voisin ?… Il y a là-haut certaine femme dont on dit du mal et du bien. Moi, je n’ose en rien dire. Mais elle a puissance au monde d’en bas. Elle appelle les morts, et ils viennent. Oh ! si elle pouvait (sans péché, s’entend, sans fâcher Dieu) me faire venir les miens !… Vous savez, je suis seul, et j’ai tout perdu en ce monde. — Mais cette femme, qui sait ce qu’elle est ? Du ciel ou de l’enfer ? Je n’irai pas (et il en meurt d’envie)… Je n’irai pas… Je ne veux pas risquer mon âme. Ce bois, d’ailleurs, est mal hanté. Maintes fois on a vu sur la lande des choses qui n’étaient pas à voir… Savez-vous bien ? la Jacqueline qui y a été un soir