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mal. Elle est effarée, violente, d’autant plus qu’elle est très-faible, dans le va-et-vient de l’orage.

Lorsqu’aux tiédeurs printanières, de l’air, du fonds de la terre, des fleurs et de leurs langages, lu révélation nouvelle lui monte de tous côtés, elle a d’abord le vertige. Son sein dilaté déborde. La sibylle de la science a sa torture, comme eut l’autre, la Cumæa, la Delphica. Les scolastiques ont beau jeu de dire : « C’est l’aura, c’est l’air qui la gonfle, et rien de plus. Son amant, le Prince de l’air, l’emplit de songes et de mensonges, de vent, de fumée, de néant. » Inepte ironie. Au contraire, la cause de son ivresse, c’est que ce n’est pas le vide, c’est le réel, la substance, qui trop vite a comblé son sein.


Avez-vous vu l’Agave, ce dur et sauvage Africain, pointu, amer, déchirant, qui, pour feuilles, a d’énormes dards ? Il aime et meurt tous les dix ans. Un matin, le jet amoureux, si longtemps accumulé dans la rude créature, avec le bruit d’un coup de feu, part, s’élance vers le ciel. Et ce jet est tout un arbre qui n’a pas moins de trente pieds, hérissé de tristes fleurs.

C’est quelque chose d’analogue que ressent la sombre sibylle quand, au matin d’un printemps tardif, d’autant plus violent, tout autour d’elle se fait la vaste explosion de la vie.

Et tout cela la regarde, et tout cela est pour elle. Car chaque être dit tout bas : « Je suis à qui m’a compris. »

Quel contraste !… Elle, l’épouse du désert et du