Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regards jusqu’à leur belle maîtresse, jusqu’à la fière héritière du fief, siégeant près de sa mère « sous un chapel de roses blanches ». Tandis qu’il souffrait à merveille l’amour de quelque étranger, chevalier déclaré de la dame, portant ses couleurs, il eût puni cruellement l’audace d’un de ses serviteurs qui aurait visé si haut. C’est le sens de la jalousie furieuse du sire du Fayel, mortellement irrité, non de ce que sa femme avait un amant, mais de ce que cet amant était un de ses domestiques, le châtelain (simple gardien) de son château de Coucy[1].

Plus l’abîme était profond, infranchissable, ce semble, entre la dame du fief, la grande héritière, et cet écuyer, ce page, qui n’avait que sa chemise et pas même son habit qu’il recevait du seigneur, — plus la tentation d’amour était forte de sauter l’abîme.

Le jeune homme s’exaltait par l’impossible. Enfin, un jour qu’il pouvait sortir du donjon, il courait à la sorcière et lui demandait un conseil. Un philtre suffirait-il, un charme qui fascinât ? Et si cela ne suffisait, fallait-il un pacte exprès ? Il n’eût point du tout reculé devant la terrible idée de se donner à Satan. — « On y songera, jeune homme. Mais remonte. Déjà tu verras que quelque chose est changé. »


Ce qui est changé, c’est lui. Je ne sais quel espoir le trouble ; son œil, baissé, plus profond, creusé d’une flamme inquiète, la laisse échapper malgré lui.

  1. Je cite de mémoire. Dans cette histoire, tant de fois répétée, ce n’est pas Coucy, c’est Cabestaing, ménestrel provençal, qui est page, châtelain ou domestique, comme on disait, du mari.