Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/445

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Quelqu’un (on devine bien qui) le voit avant tout le monde, est touchée, lui jette au passage quelque mol compatissant… Ô délire ! ô bon Satan ! charmante, adorable sorcière !…

Il ne peut manger ni dormir qu’il n’aille la revoir encore. Il baise sa main avec respect et se met près-que à ses pieds. Que la sorcière lui demande, lui commande ce qu’elle veut, il obéira. Voulût-elle sa chaîne d’or, voulût-elle l’anneau qu’il a au doigt (de sa mère mourante), il les donnerait à l’instant. Mais d’elle-même malicieuse, haineuse pour le baron, elle trouve une grande douceur à lui porter un coup secret.

Un trouble vague déjà est au château. Un orage muet, sans éclair ni foudre, y couve, comme une vapeur électrique sur un marais. Silence, profond silence. Mais la Dame est agitée. Elle soupçonne qu’une puissance surnaturelle a agi. Car enfin pourquoi celui-ci, plus qu’un autre qui est plus beau, plus noble, illustre déjà par des exploits renommés ? Il y a quelque chose là-dessous. Lui a-t-il jeté un sort ? A-t-il employé un charme ?… Plus elle se demande cela, et plus son cœur est troublé.


La malice de la sorcière a de quoi se satisfaire. Elle régnait dans le village. Mais le château vient à elle, se livre, et par le côté où son orgueil risque le plus. L’intérêt d’un tel amour, pour nous, c’est l’élan d’un cœur vers son idéal, contre la barrière sociale, contre l’injustice du sort. Pour la sorcière, c’est le plaisir, âpre, profond, de rabaisser la haute