Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/481

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Cela se fait, et la dame, au matin, se trouve excédée, abattue ; elle n’en peut plus. Elle doit, cette nuit, avoir fait trente lieues. Elle a chassé, elle a tué ; elle est pleine de sang. Mais ce sang vient peut-être des ronces où elle s’est déchirée.

Grand orgueil, et péril aussi pour celle qui a fait ce miracle. La Dame qui l’exigea, cependant, la reçoit fort sombre : « Ô sorcière, que tu as là un épouvantable pouvoir ! Je ne l’aurais pas deviné ! Mais maintenant j’ai peur et j’ai horreur… Oh ! qu’à bon droit tu es haïe ! Quel beau jour ce sera, quand tu seras brûlée ! Je te perdrai quand je voudrai. Mes paysans, ce soir, repasseraient sur toi leurs faux, si je disais un mot de cette nuit… Va-t’en, noire, exécrable vieille ! »


Elle est précipitée par les grands, ses patrons, dans d’étranges aventures. N’ayant que le château qui la garde du prêtre, la défende un peu du bûcher, que refusera-t-elle à ses terribles protecteurs ? Si le baron, revenu des Croisades, de Nicopolis, par exemple, imitateur de la vie turque, la fait venir, la charge de voler pour lui des enfants ? que fera-t-elle ? Ces razzias, immenses en pays grec, où parfois deux mille pages entraient à la fois au sérail, n’étaient nullement inconnues aux chrétiens (aux barons d’Angleterre dès le douzième siècle, plus tard aux chevaliers de Rhodes ou Malte). Le fameux Gilles de Retz, le seul dont on fit le procès, fut puni non d’avoir enlevé ses petits serfs (chose peu rare), mais de les avoir immolés à Satan. Celle qui les volait, et qui,