Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/482

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sans doute, ignorait leur destin, se trouvait entre deux dangers. D’une part, la fourche et la faux du paysan, de l’autre, les tortures de la tour qu’un refus lui aurait values. L’homme de Retz, son terrible Italien[1], eût fort bien pu la piler au mortier.

De tous côtés, périls et gains. Nulle situation plus horriblement corruptrice. Les sorcières elles-mêmes ne niaient pas les absurdes puissances que le peuple leur attribuait. Elles avouaient qu’avec une poupée percée d’aiguilles, elles pouvaient envoûter, faire maigrir, faire périr qui elles voulaient. Elles avouaient qu’avec la mandragore, arrachée du pied du gibet (par la dent d’un chien, disaient-elles, qui ne manquait pas d’en mourir), elles pouvaient pervertir la raison, changer les hommes en bêtes, livrer les femmes aliénées et folles. Bien plus terrible encore le délire furieux de la Pomme épineuse (ou Datura) qui fait danser à mort[2], subir mille hontes, dont on n’a ni conscience ni souvenir.

  1. Voir mon Histoire de France, et surtout la savante et exacte notice de notre si regrettable Armand Guéraud : Notice sur Gilles de Rais, Nantes, 1855 (reproduite dans la Biographie bretonne de M. Levot). — On y voit que les pourvoyeurs de l’horrible charnier d’enfants étaient généralement des hommes. La Meffraye, qui s’en mêlait aussi, était-elle sorcière ? On ne le dit pas. M. Guéraud devait publier le procès. Il est à désirer qu’on fasse cette publication, mais sincère, intégrale, non mutilée. Les manuscrits sont à Nantes, à Paris. Mon savant ami, M. Dugast-Matifeux, m’apprend qu’il en existe une copie plus complète que ces originaux aux archives de Thouars (provenant des La Trémouille et des Serrant).
  2. Pouchet, Solanées et Botanique générale. — Nysten, Dictionnaire de médecine (édition Littré et Robin), article Datura. Les voleurs n’emploient que trop ces breuvages. Ils en firent prendre un jour au bourreau d’Aix et à sa femme, qu’ils voulaient dépouiller de leur argent ; ces deux personnes entrèrent dans un si étrange délire que pendant toute une nuit ils dansèrent tout nus dans un cimetière.