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Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/496

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du Diable qui y entrent seulement. Cette dernière lueur de bon sens disparaît au douzième siècle. Au treizième, nous voyons un prieur qui craint tellement d’être pris vivant, qu’il se fait garder jour et nuit par deux cents hommes armés.

Là commence une époque de terreurs croissantes, où l’homme se fie de moins en moins à la protection divine. Le Démon n’est plus un esprit furtif, un voleur de nuit qui se glisse dans les ténèbres : c’est l’intrépide adversaire, l’audacieux singe de Dieu, qui, sous son soleil, en plein jour, contrefait sa création. Qui dit cela ? La légende ? Non, mais les plus grands docteurs. Le Diable transforme tous les êtres, dit Albert-le-Grand. Saint Thomas va bien plus loin. « Tous les changements, dit-il, qui peuvent se faire de nature et par les germes, le Diable peut les imiter. » Étonnante concession, qui, dans une bouche si grave, ne va pas à moins qu’à constituer un Créateur en face du Créateur ! « Mais pour ce qui peut se faire sans germer, ajoute-t-il, une métamorphose d’homme en bête, la résurrection d’un mort, le Diable ne peut les faire. » Voilà la part de Dieu petite. En propre, il n’a que le miracle, l’action rare et singulière. Mais le miracle quotidien, la vie, elle n’est plus à lui seul : le Démon, son imitateur, partage avec lui la nature.

Pour l’homme, dont les faibles yeux ne font pas différence de la nature créée de Dieu à la nature créée du Diable, voilà le monde partagé. Une terrible incertitude planera sur toute chose. L’innocence de la nature est perdue. La source pure, la blanche fleur, le petit oiseau, sont-ils bien de Dieu,