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Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/497

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ou de perfides imitations, des pièges tendus à l’homme ?… Arrière ! tout devient suspect. Des deux créations, la bonne, comme l’autre en suspicion, est obscurcie et envahie. L’ombre du Diable voile le jour, elle s’étend sur toute vie. À juger par l’apparence et par les terreurs humaines, il ne partage pas le monde, il l’a usurpé tout entier.


Les choses en sont là au temps de Sprenger. Son livre est plein des aveux les plus tristes sur l’impuissance de Dieu. Il permet, dit-il, qu’il en soit ainsi. Permettre une illusion si complète, laisser croire que le Diable est tout, Dieu rien, c’est plus que permettre, c’est décider la damnation d’un monde d’âmes infortunées que rien ne défend contre cette erreur. Nulle prière, nulle pénitence, nul pèlerinage ne suffit ; non pas même (il en fait l’aveu) le sacrement de l’autel. Étrange mortification ! Des nonnes, bien confessées, l’hostie dans la bouche, avouent qu’à ce moment même elles ressentent l’infernal amant, qui sans vergogne ni peur, les trouble et ne lâche pas prise. Et, pressées de questions, elles ajoutent, en pleurant, qu’il a le corps, parce qu’il a l’âme.


Les anciens Manichéens, les modernes Albigeois, furent accusés d’avoir cru à la puissance du Mal qui luttait à côté du Bien, et fait le Diable égal de Dieu. Mais ici il est plus qu’égal. Si Dieu, dans l’hostie, ne fait rien, le Diable paraît supérieur.