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chambre à chaque étage. Les Cadière étaient gens honnêtes, dévots, et Mme Cadière un miroir de perfection. Ces bonnes gens n’étaient pas absolument pauvres. Non seulement la petite maison était à eux, mais, comme la plupart des bourgeois de Toulon, ils avaient une bastide. C’est une masure le plus souvent, un petit clos pierreux qui donne un peu de vin. Au temps de la grande marine, sous Colbert et son fils, le prodigieux mouvement du port profitait à la ville. L’argent de la France arrivait là. Tant de grands seigneurs qui passaient, traînaient après eux leurs maisons, leurs nombreux domestiques, un peuple gaspillard, qui derrière lui laissait beaucoup. Tout cela finit brusquement. Ce mouvement artificiel cessa ; on ne pouvait plus même payer les ouvriers de l’Arsenal ; les vaisseaux délabrés restaient non réparés, et l’on finit par en vendre le bois[1].

Toulon sentit fort bien le contre-coup de tout cela. Au siège de 1707, il semblait quasi mort. Mais que fut-ce dans la terrible année de 1709, le 93 de Louis XIV ! quand tous les fléaux à la fois, cruel hiver, famine, épidémie, semblaient vouloir raser la France ! — Les arbres de Provence, eux-mêmes, ne furent pas épargnés. Les communications cessèrent. Les routes se couvraient de mendiants, d’affamés ! Toulon tremblait, entouré de brigands qui coupaient toutes les routes.

Mme Cadière, pour comble, en cette année cruelle, était enceinte. Elle avait trois garçons. L’aîné restait à la boutique, aidait son père. Le second était

  1. V. une très bonne dissertation manuscrite de M. Brun.