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aux Prêcheurs et devait se faire moine dominicain (jacobin, comme on disait). Le troisième étudiait pour être prêtre au séminaire des Jésuites. Les époux voulaient une fille ; madame demandait à Dieu une sainte. Elle passa ses neuf mois en prière, jeûnant ou ne mangeant que du pain de seigle. Elle eut une fille. Catherine. L’enfant était très délicate, et, comme ses frères, un peu malsaine. L’humidité de la maison sans air, la faible nourriture d’une mère si économe et plus que sobre, y contribuaient. Les frères avaient des glandes qui s’ouvraient quelquefois ; et la petite en eut dans les premières années. Sans être tout à fait malade, elle avait les grâces souffrantes des enfants maladifs. Elle grandit sans s’affermir. À l’âge où les autres ont la force, la joie de la vie ascendante, elle disait déjà : « J’ai peu à vivre. »

Elle eut la petite vérole, et en resta un peu marquée. On ne sait si elle fut belle. Ce qui est sûr, c’est qu’elle était gentille, ayant tous les charmants contrastes des jeunes Provençales et leur double nature. Vive et rêveuse, gaie et mélancolique, une bonne petite dévote, avec d’innocentes échappées. Entre les longs offices, si on la menait à la bastide avec les filles de son âge, elle ne faisait difficulté de faire comme elles, de chanter ou danser, en se passant au cou le tambourin. Mois ces jours étaient rares. Le plus souvent, son grand plaisir était de monter au plus haut de la maison (p. 24), de se trouver plus près du ciel, de voir un peu le jour, d’apercevoir peut-être un petit coin de mer, ou quelque pointe aiguë de la vaste thébaïde des mon-