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Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/600

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tagnes. Elles étaient sérieuses dès lors, mais un peu moins sinistres, moins déboisées, avec une robe clairsemée d’arbousiers, de mélèzes.

Cette morte ville de Toulon, au moment de la peste, comptait vingt-six mille habitants. Énorme masse resserrée sur un point. Et encore, de ce point, ôtez une ceinture de grands couvents adossés aux remparts, minimes, oratoriens, jésuites, capucins, récollets, ursulines, visitandines, bernardines, Refuge, Bon-Pasteur, et, tout au centre, le couvent énorme des dominicains. Ajoutez les églises paroissiales, presbytères, évêché, etc. Le clergé occupait tout, le peuple rien pour ainsi dire[1].

On devine combien, sur un foyer si concentré, le fléau âprement mordit. Le bon cœur de Toulon lui fut fatal aussi. Elle reçut magnanimement des échappés de Marseille. Ils purent bien amener la peste, autant que des ballots de laine auxquels on attribue l’introduction du fléau. Les notables effrayés allaient fuir, se disperser dans les campagnes. Le premier des consuls, M. d’Antrechaus, cœur héroïque, les retint, leur dit sévèrement : « Et le peuple, que va-t-il devenir, messieurs, dans cette ville dénuée, si les riches emportent leurs bourses ? » Il les retint et força tout le monde de rester. On attribuait les horreurs de Marseille aux communications entre habitants. D’Antrechaus essaya d’un système tout contraire. Ce fut d’isoler, d’enfermer les Toulonnais chez eux. Deux hôpitaux immenses

  1. Voy. le livre de M. d’Antrechaus et l’excellente brochure de M. Gustave Lambert.