Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/642

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ses bons moments. Elle lui plut, lui sembla une bonne petite sainte, et il lui crut si bien des lumières supérieures, qu’il eut la légèreté de lui parler de ses affaires, d’intérêts, d’avenir, la consultant comme il eût fait d’une diseuse de bonne aventure.

Il hésitait cependant, malgré les prières des frères, pour la faire sortir d’Ollioules et pour l’ôter à Girard. On trouva moyen de le décider. On fit courir à Toulon le bruit que la jeune fille avait manifesté le désir de fuir au désert, comme son modèle sainte Thérèse l’avait entrepris à douze ans. C’était Girard, disait-on, qui lui mettait cela en tête pour l’enlever un matin, la mettre hors du diocèse dont elle faisait la gloire, faire cadeau de ce trésor à quelque couvent éloigné où les jésuites, en ayant le monopole exclusif, exploiteraient ses miracles, ses visions, sa gentillesse de jeune sainte populaire. L’évêque se sentit fort blessé. Il signala à l’abbesse de ne remettre mademoiselle Cadière qu’à sa mère elle-même, qui devait bientôt la faire sortir du couvent, la mener dans une bastide qui était à la famille.

Pour ne pas choquer Girard, on fit écrire par la Cadière que, si ce changement le gênait, il pouvait s’adjoindre et lui donner un second confesseur. Il comprit et aima mieux désarmer la jalousie en abandonnant la Cadière. Il se désista (15 septembre) par un billet fort prudent, humble, piteux, où il tâchait de la laisser amie et douce pour lui. « Si j’ai fait des fautes à votre égard, vous vous souviendrez pourtant toujours que j’avais bonne volonté de vous aider… Je suis et je serai toujours tout à vous dans le Sacré-Cœur de Jésus. »