Aller au contenu

Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/700

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

établissements publics, les trois bibliothèques, les cours qu’on fait sur les sciences, offrent des ressources nombreuses que ne soupçonne point le voyageur rapide, le passant qui vient s’embarquer. Pour moi, établi pour longtemps, et devenu vrai Toulonnais, ce qui m’était d’un intérêt constant c’était de comparer l’ancien et le nouveau Toulon. Heureux progrès des temps que nulle part je n’ai senti mieux. La triste affaire de la Cadière, dont le savant bibliothécaire de la ville me communiqua les monuments, mettait pour moi ce contraste en vive saillie.

Un bâtiment surtout, chaque jour, arrêtait mes regards : l’Hôpital de la marine, ancien séminaire des Jésuites, fondé par Colbert pour les aumôniers de vaisseaux, et qui, dans la décadence de la marine, occupa de façon si odieuse l’attention publique.

On a bien fait de conserver un monument si instructif sur l’opposition des deux âges. Ce temps-là, d’ennui et de vide, d’immonde hypocrisie. Ce temps-ci, lumineux de vérité, ardent de travail, de recherche, de science, et de science ici toute charitable, tournée tout entière vers le soulagement, la consolation de la vie humaine !

Entrons-y maintenant : nous trouverons que la maison est quelque peu changée. Si les adversaires du présent disent que ses progrès sont du Diable, ils avoueront qu’apparemment le Diable a changé de moyens.

Son grimoire aujourd’hui est, au premier étage, une belle et respectable bibliothèque médicale, que ces jeunes chirurgiens, de leur argent et aux dépens de leurs plaisirs, augmentent incessamment. Moins de bals et moins de maîtresses. Plus de science, de fraternité.

Destructeur autrefois, créateur aujourd’hui, au laboratoire de chimie, le Diable travaille et prépare ce qui doit relever demain, guérir le pauvre matelot. Si le fer devient nécessaire, l’insensibilité que cherchaient les sorcières, et dont leurs narcotiques furent le premier essai, est donnée par la diablerie que Jackson a trouvée (1847).

Ces temps rêvèrent, voulurent. Celui-ci réalise. Son démon est un Prométhée. Au grand arsenal satanique, je veux dire au riche cabinet de physique qu’offre cet hôpital, je trouve effectués les songes, les vœux du Moyen-âge, ses délires les plus chimériques. — Pour traverser l’espace, il dit : « Je veux la force… »