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Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/699

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vaille avec nous. C’est un devoir de rendre grâce à ce mystérieux compagnon, de remercier le Genius loci.

Au pied du fort Lamalgue qui domine invisible, j’occupais sur une pente assez âpre de lande et de roc une petite maison fort recueillie. Celui qui se bâtit cet ermitage, un médecin, y a écrit un livre original, l’Agonie et la Mort. Lui-même y est mort récemment. Tête ardente et cœur volcanique, il venait chaque jour de Toulon verser là ses troubles pensées. Elles y sont fortement marquées. Dans l’enclos, assez grand, de vignes et d’oliviers pour se fermer, s’isoler doublement, il a inscrit un jardin fort étroit, serré de murs, à l’africaine, avec un tout petit bassin. Il reste là présent par les plantes étrangères qu’il aimait, les marbres blancs chargés de caractères arabes qu’il sauva des tombeaux démolis à Alger. Ses cyprès de trente ans sont devenus géants, ses aloès, ses cactus énormes et redoutables. Le tout fort solitaire, point mou, mais très charmant. En hiver, partout l’églantier en fleur, partout le thym et les parfums amers.

Cette rade, on le sait, est la merveille du monde. Il y en a de plus grandes encore, mais aucune si belle, aucune si fièrement dessinée. Elle s’ouvre à la mer par une bouche de deux lieues, la resserrant par deux presqu’îles recourbées en pattes de crabe. Tout l’intérieur varié, accidenté de caps, de pics rocheux, de promontoires aigus, landes, vignes, bouquets de pins. Un charme, une noblesse, une sévérité singulières.

Je ne découvrais pas le fond même de la rade, mais ses deux bras immenses : à droite, Tamaris (désormais immortel) ; à gauche, l’horizon fantastique de Gien, des Îles d’or, où le grand Rabelais aurait voulu mourir.

Derrière, sous le haut cirque des monts chauves, la gaieté et l’éclat du port, de ses eaux bleues, de ses vaisseaux qui vont, viennent, ce mouvement éternel, fait un piquant contraste. Les pavillons flottants, les banderoles, les rapides chaloupes, qui emmènent, ramènent les officiers, les amiraux, tout anime, intéresse. Chaque jour, à midi, allant à la ville, je montais de la mer au plus haut de mon fort, d’où l’immense panorama se développe, les montagnes depuis Hyères, la mer, la rade et, au milieu de la ville qui de là est charmante. Quelqu’un qui vit cela la première fois, disait : « La jolie femme que Toulon ! »

Quel aimable accueil j’y trouvai ! Quels amis empressés ! Les