Page:Michelet - OC, L’Amour, La Femme.djvu/371

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Voyons la condition de la femme ainsi chargée, et encore dans des circonstances relativement favorables.

Une jeune veuve protestante, de mœurs très austères, laborieuse, économe, sobre, exemplaire en tout sens, encore agréable, malgré tout ce qu’elle a souffert, demeure derrière l’Hôtel-Dieu, dans une rue malsaine, plus bas que le quai. Elle a un enfant maladif, qui va toujours à l’école, retombe toujours au lit, et qui ne peut avancer. Son loyer, de cent vingt francs, moins enchéri que bien d’autres, est porté à cent soixante. Elle disait à deux dames excellentes « Quand je puis aller en journée, on veut bien me donner vingt sous, même vingt-cinq ; mais cela ne me vient guère que deux ou trois fois la semaine. Si vous n’aviez eu la bonté de m’aider pour mon loyer en me donnant cinq francs par mois, il eût fallu, pour nourrir mon enfant, que je fisse comme les autres, que je descendisse le soir dans la rue.

La pauvre femme qui descend tremblante, hélas ! pour s’offrir, est à cent lieues de l’homme grossier à qui il lui faut s’adresser. Nos ouvrières qui ont tant d’esprit, de goût, de dextérité, sont la plupart distinguées physiquement, fines et délicates. Quelle différence entre elles et les dames des plus hautes classes ? Le pied ? Non. La taille ? Non. La main seule fait la différence, parce que la pauvre ouvrière, forcée de laver souvent, passant l’hiver sous le toit avec une simple chaufferette, a ses mains, son unique instrument de travail et de vie, gonflées douloureusement, crevées d’engelures. A cela près, la même femme, pour peu qu’on l’habille, c’est madame la comtesse,