Page:Michelet - OC, L’Amour, La Femme.djvu/378

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On reconnaît la femme seule au premier coup d’œil. Prenez-la dans son voisinage, partout où elle est regardée, elle a l’attitude dégagée, libre, élégamment légère, qui est propre aux femmes de France. Mais dans un quartier où elle se croit moins observée, elle se laisse aller quelle tristesse ! quel abattement visible ! J’en rencontrai l’hiver dernier, jeunes encore, mais en décadence, tombées du chapeau au bonnet, un peu maigries, un peu pâlies (d’ennui, d’anxiété ? de faible et de mauvaise nourriture ?). Pour les refaire belles et charmantes, il eût suffi de peu de cliose quelque espoir, trois mois de bonheur.

Que de gênes pour une femme seule ! Elle ne peut guère sortir le soir on la prendrait pour une fille. Il est mille endroits où l’on ne voit que des hommes, eL si une affaire l’y mène, on s’étonne, on rit sottement. Par exemple, qu’elle se trouve attardée au bout de Paris, qu’elle ait faim, elle n’osera pas entrer chez un restaurateur. Elle y ferait événement, elle y serait un spectacle. Elle aurait constamment tous les yeux fixés sur elle, entendrait des conjectures hasardées, désobligeantes. Il faut qu’elle retourne à une lieue, qu’arrivée tard elle allume du feu, prépare son petit repas. Elle évite de faire du bruit, car un voisin curieux (un étourdi d’étudiant, un jeune employé, que sais-je ?) mettrait l’œil à la serrure, ou indiscrètement, pour entrer, offrirait quelque service. Les communautés gênantes, disons mieux, les servitudes de nos grandes vilaines casernes, qu’on appelle des maisons, la rendent craintive en mille choses, hésitante à chaque pas. Tout est embarras pour elle, et tout liberté pour l’homme. Combien, par exemple, elle