Page:Michelet - OC, L’Amour, La Femme.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

célibataire qui continuerait le café, le spectacle, etc. C’est ainsi qu’un de mes amis, un des plus spirituels journalistes de Paris, trouvait que pour vivre deux, sans domestique, dans une maisonnette de banlieue, il faut trente mille livres de rente.

Cette lamentable vie, d’honorable solitude et d’ennui désespéré, c’est celle que mènent les ombres errantes qu’on appelle en Angleterre les membres de clubs. Cela commence aussi en France. Fort bien nourris, fort bien chauffés, dans ces établissements splendides, trouvant là tous les journaux et de riches bibliothèques, vivant ensemble comme des morts bien élevés et polis, ils progressent dans le spleen et se préparent au suicide. Tout est si bien organisé que la parole est inutile ; il n’est même besoin de signes. A tels jours de l’année, le tailleur se présente et prend mesure, sans qu’on ait besoin de parler. Point de femme. Et encore moins irait-on chez une fille. Mais, une fois par semaine, une demoiselle apportera des gants, ou tel objet payé d’avance, et sortira sans bruit au bout de cinq minutes.


J’ai parfois, en omnibus, rencontré une jeune fille ’modestement mise, mais en chapeau toutefois, qui avait les yeux sur un livre et ne s’en détachait pas. Si près assis, sans regarder, je voyais. Le plus souvent, le livre était quelque grammaire ou un de ces manuels pour préparer les examens. Petits livres, épais et compacts, où toute science est concentrée sous forme sèche, indigeste, comme à l’état de caillou. Elle se mettait pourtant tout cela sur