Page:Michelet - OC, L’Amour, La Femme.djvu/389

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pues, simple élément de plaisir, qui ne sentaient, ne savaient rien.

Le danger est très grand ici. Le plus sûr est de rester loin. Un jour, un de mes amis, penseur distingué, charitable, mais qui a les mœurs du temps, me disait que c’était par ses relations légères, sans conséquence, en évitant tout engagement sérieux, qu’il avait su se réserver pour l’étude et l’exercice solitaire de l’intelligence. Je lui dis « Quoi ! vous trouvez que cela est sans conséquence ? Mais n’est-ce pas un grand péril ?... Par quel effort philosophique d’oubli et d’abstraction peut-on voir une infortunée jetée là par la misère, par la trahison peut-être, sans que son horrible sort ne déchire le cœur ? Et si la pauvre créature, jouet de la fatalité, allait le prendre, ce cœur, vous seriez perdu ! - Moi ! dit-il en souriant (mais d’un si triste sourire !), cela ne peut pas arriver. Mes parents y ont pourvu ; ils ont fermé cette porte qui mène aux grandes folies. Avant que j’aie senti mon cœur, on m’en a débarrassé. On a tué l’amour en moi. »

Cette parole funéraire me fit frémir. Je pensai au mot qu’un empereur sophiste dit au dernier jour de l’empire romain « L’amour est une convulsion. » Le lendemain, tout s’écroula, non par l’invasion des barbares, mais par celle du célibat et de la mort préventive.