Page:Michelet - OC, La Montagne, L’Insecte.djvu/231

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le travail périlleux, où le travail assidu ont donné l’exemple au monde ? Entre l’exploiteur hardi des forêts et l’ouvrier infatigable de Genève, que signifient les vains rêves et les mélancolies du vide ?

L’amour est au niveau de tout, tout aussi divin que les Alpes. Je ne méconnais pas la force, la sincérité de Rousseau. Cependant qui peut à Clarens relire la Nouvelle Héloïse ? Nulle rhétorique, nul talent, ne se soutient dans un tel lieu. Trop grande y est la nature. Trop tragique y est l’histoire dans la guerre de ces deux rivages, dont par bonheur témoigne encore le cachot de Chillon.

Quelqu’un dit un mot admirable sur ce vis-à-vis unique de Meillerie et de Clarens. « Ce qu’on y sent est plus haut qu’une passion individuelle, plus que tout amour de ce monde. C’est le sens du grand, du sublime, de l’universel Amour. »

Profonde parole religieuse ! Qui la croirait de Byron (notes du IIIe chant de Childe Harold) ? Ce mot, plus que tous ses vers, est vraiment digne des Alpes.

J’ai voulu, à Meyringen, en lire, revoir son Manfred. Cela ne se pouvait pas. Cette exaltation désolante, ce faux mystère, ce faux tragique, qui n’est d’aucun lieu, d’aucun temps, détonnent en de pareils lieux. Déplorable conception d’avoir assis Némésis, la vengeance et le dieu du mal, sur ces bienfaisants glaciers qui nous donnent, avec les grands fleuves, la vie, la salubrité, la fécondité de l’Europe !

La Suisse n’est pas parfaite. Mais ce qui chez elle me semble admirable, au-dessus de tout, une vraie