Page:Michelet - OC, La Montagne, L’Insecte.djvu/275

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l’air de porter lui-même un grand chêne à bras tendu. Il y a beaucoup à profiter entre ces grès et ces chênes. Et l’homme, si vous le trouvez là au travail, n’est pas au-dessous. Les vaillants carriers que je rencontrais en lutte contre le roc, avec ces monstrueux marteaux qui ne semblent pas faits pour la main de l’homme, je leur aurais cru volontiers la force résistante du grès et le cœur d’acier du chêne. Et cela est vrai sans doute pour l’âme et la volonté. Mais le corps résiste moins. La plupart meurent à quarante ans ; et les premiers emportés sont justement les meilleurs, les plus ardents au travail. Les carriers et les fourmis, c’est toute la vie de la forêt. Jadis on eût dit aussi les abeilles. Elles étaient fort nombreuses, et l’on en rencontre encore, surtout vers Franchart. Elles ont dû diminuer depuis qu’on a planté tant de pins et d’arbres du Nord qui ne souffrent rien sous leur ombre, et qui ont supprimé dans beaucoup de lieux la bruyère et les fleurs. En récompense, les fourmis fauves, qui préfèrent comme matériaux les aiguilles et les chatons de pins, paraissent y prospérer. Nulle forêt peut-être plus riche en espèces de fourmis. Voilà les vrais habitants du désert et qui en sont l’âme les fourmis travaillant le sable, les carriers travaillant le grès. Les uns et les autres de même génie, des hommes fourmis en dessus, des fourmis presque hommes en dessous. J’admirais la similitude de leur destinée, de leur patience laborieuse, de leur admirable persévérance. Le grès, matière très réfractaire, rebelle, qui souvent se fend mal, crée à ces pauvres travailleurs de grands