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Page:Michelet - OC, La Montagne, L’Insecte.djvu/277

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semble heureuse de voir toute cette substance qui, retenue dans le grès depuis des milliers d’années, n’était pas en circulation, rentrer dans la mobilité de la vie universelle. Cet heureux combat de l’homme contre le roc tire enfin l’élément captif de ce long enchantement. L’herbe s’en empare ; l’arbre s’en empare ; les animaux s’en emparent. Tout ce sable, auquel le roc aboutit toujours à la longue, devient perméable à l’activité d’un vaste monde souterrain. Rien ne me faisait plus rêver, nul spectacle ne me ramenait plus fortement sur moi-même. Moi aussi, j’ai été longtemps, par je ne sais quelle pauvreté ou quelle lenteur, comme ce grès réfractaire, sur qui souvent rien ne mord, ou qui, s’ouvrant de travers, ne donne que des fragments informes, irréguliers et de rebut. Il a fallu que l’Histoire, de son pesant marteau de fer, me dégageât de moi-même, me séparât de mes obstacles, me brisât et m’affranchît. Sévère affranchissement. Pour quelques pierres que j’ai données au grand maçonnage d’avenir, que n’ai-je point perdu de moi-même ? Parfois, frappé doublement du présent et du passé, je me sentis tomber en pièces ; que dis-je ? en poudre, en poussière ; et je me vis par moments, comme je vois ce fond de carrière, tout de sable et de débris. C’est pourtant de ces éléments que la Nature toute- puissante, par je ne sais quelle sève cachée au fond du caillou, m’a fait un renouvellement. D’un peu d’herbe et de bruyère, reliant ce que l’Histoire et le monde avaient broyé, elle a dit avec un sourire : « Vous autres, vous êtes le temps. Je suis la Nature éternelle. »