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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

Sous l’inspiration de sa fille, nous n’en faisons aucun doute, il se lança dans l’expérience hardie du suffrage universel, mesure hasardeuse dans un grand empire et chez un peuple si peu avancé ! mesure toute contraire à son caractère, très peu conforme aux doctrines qu’il exposa avant et depuis.

Le père et la fille, bientôt effrayés de leur audace, ne tardèrent pas à reculer. Et Mme de Staël, entourée de Feuillants, d’anglomanes, admiratrice de l’Angleterre, qu’elle ne connaissait point du tout, devint et resta la personne brillante, éloquente, et pourtant, au total, médiocre, si l’on ose dire, qui a tant occupé la renommée.

Pour nous, nous n’hésitons pas à l’affirmer, sa grande originalité est dans sa première époque, sa gloire est dans son amour pour son père, dans l’audace qu’elle lui donna. — Sa médiocrité fut celle de ses spirituels amants, les Narbonne, les Benjamin Constant, etc., qui, dans son salon, dominés par elle, n’en réagirent pas moins sur elle dans l’intimité.

Reprenons, dès les commencements, le père et la fille.

M. Necker, banquier genevois, avait épousé une demoiselle suisse, jusque-là gouvernante, dont le seul défaut fut l’absolue perfection. — La jeune Necker était accablée de sa mère, dont la roideur contrastait avec sa nature facile, expansive et mobile. Son père, qui la consolait, l’admirait, devint l’objet de son adoration. On conte que M. Necker, ayant souvent loué le vieux Gibbon, la jeune fille voulait l’épouser. Cette enfant, déjà confidente et