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Les traces d’un mal qui avait paru incurable, se dissipèrent définitivement.

Dès lors, l’auteur de Guillaume Tell et du Barbier, retrouva à Paris une auréole de gloire et de prestige qu’aucune autre dans le domaine musical n’égala. Ses réceptions devinrent célèbres. Les artistes les plus en renom briguaient la faveur de s’y faire entendre. L’on voyait dans ses salons lorsqu’ils s’ouvraient, se coudoyer les personnalités les plus illustres de tous les milieux de Paris.

Dans cette royauté intellectuelle, qu’enveloppait un calme olympien apporté par l’âge, Rossini sut rester simple, bon, affable, ignorant la morgue, ennemi de toute ostentation. Et qu’il me soit permis à ce propos, de faire table rase de la réputation très exagérée de diseur de bons mots et de celle fort injuste d’impitoyable railleur, dont les journaux parisiens d’alors se plaisaient à le gratifier, en lui attribuant avec une incroyable légèreté, nombre de réparties d’un goût plus ou moins douteux qu’il n’avait jamais imaginées, ou telle facétie irrévérencieuse envers autrui, dont il était incapable. Il souffrait de cette âpre publicité qui souvent dépassait les bornes de la malice, pour devenir franchement perfide à ses dépens. Il s’en plaignait fréquemment et lorsqu’on lui répliquait : « Vous le savez, maestro, l’on ne prête qu’aux riches. » « À dire vrai — soupirait-il — j’aimerais mieux un peu plus de pauvreté et un peu moins de générosité. À force de vouloir me prêter, on me bourre, on m’obstrue ! Et quels prêts, grand Dieu ! des balayures qui m’éclaboussent moi-même encore plus qu’elles n’atteignent les autres ! Cela m’exaspère : ma cosi va il mondo. »

J’ai voulu en ces quelques lignes, marquer la situation si opposée à cette époque à Paris, de ces deux hommes qui vont se rencontrer. L’un, adulé comme un demi-dieu ; l’autre, dénué de tout prestige, bafoué même presque à l’égal d’un malfaiteur. Et cependant, ne l’oublions pas, Wagner à l’apogée de son génie — aussi grand devant lui-même qu’il s’est révélé depuis devant la foule — avait déjà créé l’œuvre de Titan qui donnait la, — ignorée et colos-