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fus atterré à la pensée de le voir entreprendre un pareil voyage. Je l’en dissuadai de la façon la plus énergique, lui disant qu’il commettait un crime... un suicide ! Rien n’y fit : « Je le sais, me répondit il, j’y laisserai ma vie… Mais il le faut. Je dois aller monter Obéron, mon contrat m’y oblige, il le faut, il le faut… »

» Entre autres lettres pour Londres où, pendant mon séjour en Angleterre, j’avais noué d’importantes relations, je lui confiai une lettre de présentation au roi Georges qui, très accueillant pour les artistes, avait été particulièrement affable pour moi. — Le cœur navré, j’embrassai une dernière fois ce grand génie, avec le pressentiment que je ne le reverrais plus. Ce n’était que trop vrai. Povero Weber !


»… Mais, nous parlions des cabales, continua Rossini. Voici mon opinion à ce sujet : rien de tel que de leur opposer le silence et l’inertie ; c’est plus efficace, croyez-moi, que la riposte et la colère. La malveillance est légion ; celui qui seul veut se débattre ou, si vous l’aimez mieux, se battre contre cette gueuse, ne portera jamais le dernier coup. Pour ma part, me f…ichant de ces attaques, — plus on me roulait, plus je ripostai par des roulades ; aux sobriquets, j’opposai mes triolets ; aux lazzis mes pizzicati ; et tout le tintamarre mis en branle par ceux qui ne les aimaient pas, n’a jamais pu me contraindre, je vous le jure, à leur flanquer un coup de grosse caisse de moins dans mes crescendo ni m’empêcher, lorsque cela me convenait, de les horripiler par un felicità de plus dans mes finals. Que si vous me voyez avec une perruque, ce ne sont pas ces b…utors-là, croyez-le, qui ont réussi à faire tomber un seul cheveu de ma tête[1]. »

Abasourdi au premier moment de cette tirade ultra-pittoresque, où l’auteur du Barbier, jusque-là grave et réfléchi, se révéla brusquement sous un aspect si opposé (Rossini venait, en effet, de reprendre son naturel, habi-

  1. Lorsque dans la conversation son esprit se heurtait à quelque souvenir ou à quelque contrariété de nature à l’agacer, se souciant alors médiocrement du langage académique pour déterminer sa pensée, il donnait libre volée à des vocables dont il suffit, je pense, de souligner la lettre initiale pour laisser deviner le reste.