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tuellement plaisant, humoristique et nommant les choses par leur nom), Wagner, se contraignant pour ne pas éclater de rire : « Oh ! quant à ça, reprit-il (désignant du geste, le cerveau), — grâce à ce que vous aviez là, maestro, cette inertie dont vous parlez, n’était-ce pas plutôt une véritable puissance ; puissance ratifiée par le public et si souveraine qu’il fallait réellement plaindre les fous qui venaient s’y heurter ?… Mais ne m’avez-vous pas fait entendre, il y a un instant, que vous avez connu Beethoven ? »


Rossini. « C’est la vérité ; à Vienne, précisément à l’époque dont je viens de vous parler, en 1822, lorsque mon opéra Zelmira y fut représenté. J’avais déjà entendu à Milan des quatuors de Beethoven, je n’ai pas besoin de vous dire avec quelle impression d’admiration ! Je connaissais également de lui quelques œuvres de piano. À Vienne, j’assistai pour la première fois à l’exécution d’une de ses symphonies, l’Héroïque. Cette musique me bouleversa. Je n’eus plus qu’une pensée : connaître ce grand génie, le voir, fut-ce une seule fois. Je pressentis à ce sujet Salieri, que je savais être en rapport avec Beethoven. »


Wagner. « Salieri, l’auteur des Danaïdes ? »


Rossini. « Celui-là même. Il avait acquis à Vienne, où il résidait depuis longtemps, une situation très en vue, à la suite de la vogue qu’obtinrent plusieurs de ses opéras, représentés au théâtre italien ; il me dit qu’en effet il voyait parfois Beethoven, mais m’avoua qu’en raison de son caractère ombrageux et fantasque, la chose que je demandais n’irait pas très facilement.

» Ce même Salieri, entre parenthèse, avait eu également des rapports assez suivis avec Mozart. Après la mort de celui-ci, il fut soupçonné, et même sérieusement accusé, de l’avoir, — par jalousie de métier, — fait disparaître au moyen d’un poison lent… »


Wagner. « De mon temps encore, ce bruit persistait à Vienne. »