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Rossini. « Et dites-moi, quel a été dans votre esprit le point de départ de ces réformes ? »


Wagner. « Leur système ne s’est pas développé d’emblée. Mes doutes se rapportent à mes premiers essais qui ne me satisfaisaient pas ; et c’est plutôt dans la conception poétique que dans la conception musicale que le germe de ces réformes s’est d’abord révélé à mon esprit. Mes premiers travaux en effet, avaient surtout un objectif littéraire. Préoccupé ensuite des moyens à combiner pour en élargir le sens par l’adjonction si pénétrante de l’expression phonique, je déplorais combien l’indépendance où se mouvait ma pensée dans le domaine idéal, s’amoindrissait devant les exigences imposées par la routine à la forme du drame musical[1].

» Ces aria di bravura, ces duos insipides fatalement fabriqués sur le même modèle, et combien d’autres hors-d’œuvre qui sans raison interrompaient l’action scénique ! puis les septuors ! car dans tout opéra qui se respectait, il fallait le septuor solennel où les personnages du drame, délaissant l’esprit de leur rôle, se mettaient en ligne devant la rampe — tous réconciliés ! — pour venir d’un commun accord (et souvent quels accords, grand Dieu !) débiter au public, un de ces poncifs fades… »


Rossini (l’interrompant). « Et savez vous comment nous appelions cela de mon temps en Italie ? Le rang des artichauts ! J’avoue que je sentais parfaitement le ridicule de la chose. Cela me faisait toujours l’effet d’une bande de facchini, venant chanter pour obtenir un pourboire. Mais que voulez-vous ? C’était la coutume ; une concession qu’il fallait faire au public, sinon on nous eût jeté des pommes cuites… et même de celles qui ne l’étaient pas ! »


Wagner (continuant sans prêter grande attention à l’interruption de Rossini) : « Et quant à l’orchestre, ces accompagnements routiniers… incolores… répétant obstinément les mêmes formules sans tenir compte de la diversité des personnages et des situations… en un mot, toute cette

  1. L’on ne doit pas perdre de vue que Wagner était né en 1813.