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déclamatoire ; — l’oraison funèbre de la mélodie ! — Sinon comment allier la notation expressive pour ainsi dire de chaque syllabe du langage, à la forme mélodique, dont un rythme précis et la concordance symétrique des membres qui la constituent, doivent établir la physionomie ? »


Wagner. « Certes, maestro, pareil système mis en œuvre et poussé avec une telle rigueur, serait intolérable. Mais si vous voulez bien me comprendre, voici : loin de repousser la mélodie, je la réclame au contraire, et à pleins bords. La mélodie n’est-elle pas l’épanouissement de tout organisme musical ? Sans la mélodie, rien n’est et ne saurait être. Seulement, entendons-nous : je la réclame autre que celle qui, resserrée dans les limites étroites des procédés conventionnels, — subit le joug des périodes symétriques, des rythmes obstinés, des marches harmoniques prévues et des cadences obligatoires. Je veux la mélodie libre, indépendante, sans entraves. Une mélodie spécialisant en son contour caractéristique, non seulement chaque personnage de manière à ce qu’il ne soit pas confondu avec un autre, — mais encore tel fait, tel épisode inhérents à la contexture du drame. Une mélodie de forme bien précise, qui tout en se pliant par ses multiples inflexions au sens du texte poétique, puisse s’étendre, se restreindre, s’élargir[1] suivant les conditions exigées par l’effet musical, tel que le compositeur veut l’obtenir. Et quant à cette mélodie-là, vous-même, maestro, vous en avez stéréotypé un spécimen sublime dans la scène de Guillaume Tell, sois immobile, où le chant bien libre, accentuant chaque parole et soutenu par les traits haletants des violoncelles, atteint les plus hauts sommets de l’expression lyrique. »


Rossini. « De manière que j’ai fait là de la musique de l’avenir sans le savoir ? »

  1. « Une mélodie de combat ! » ajouta prestement Rossini. Mais Wagner, entraîné par le discours, ne prêta nulle attention à cette interruption vraiment drolatique. Je la lui signalai après coup ; il s’en divertit follement. « Pour une charge, s’écria-t-il, en voilà une au moins qui est frappée au bon coin de l’esprit. Ah ! je la retiendrai : mélodie de combat .. Une trouvaille ! »