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harmonies patriarcales l’ont uniquement songer « qu’on ne saurait être mieux qu’au sein de sa famille »[1].

» Quant aux chœurs, continua Wagner, il est une vérité psychologique : c’est que les masses collectives obéissent plus énergiquement à une sensation déterminée que l’homme isolé ; telles l’épouvante, la fureur, la pitié... Il est donc logique d’admettre, que la foule puisse collectivement exprimer cet état dans le langage phonique de l’opéra, sans choquer le bon sens. Bien plus, l’intervention des chœurs, dès qu’elle est logiquement indiquée dans les situations du drame, est une puissance sans égale et l’un des plus précieux facteurs de l’effet théâtral. Entre cent exemples, dois-je rappeler l’impression d’angoisse du fougueux chœur d’Idoménée — Corriamo, fuggiamo ! — sans oublier non plus, maestro, votre admirable fresque de Moïse — le chœur si désolé, des ténèbres…? »


Rossini. « Encore ! (Se frappant le front et très plaisamment), décidément j’avais donc, moi aussi, de grandes dispositions pour la musique de l’avenir ?... Vous me mettez l’eau à la bouche ! Si je n’étais pas trop vieux, je recommencerais et alors… gare à l’ancien régime ! »

« Ah ! maestro, — répliqua aussitôt Wagner, — si vous n’aviez pas jeté la plume après Guillaume Tell — à 37 ans — un crime ! vous ignorez vous-même tout ce que vous auriez tiré de ce cerveau-là ! Vous n’auriez alors fait que commencer… »


Rossini (reprenant son ton sérieux). « Que voulez-vous ? Je n’avais pas d’enfants. Si j’en avais eu, j’aurais sans doute continué à travailler. Mais à vous dire vrai, après avoir peiné pendant quinze ans et composé, pendant cette période soi-disant si paresseuse, quarante opéras, j’éprouvai le besoin du repos et m’en retournai vivre tranquillement à Bologne.

» Du reste l’état des théâtres en Italie, qui déjà durant ma carrière laissaient beaucoup à désirer, était alors en pleine décadence ; l’art du chant avait sombré. C’était à prévoir. »

  1. Allusion au chœur final si populaire de Lucile, opéra de Grétry.