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Page:Michotte - La Visite de R. Wagner à Rossini, 1906.djvu/48

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Wagner. « À quoi attribuez-vous un phénomène aussi inattendu dans un pays où les belles voix sont en surabondance ? »


Rossini. « À la disparition des Castrati. L’on ne saurait se faire une idée du charme de l’organe et de la virtuosité consommée — qu’à défaut d’autre chose et par une charitable compensation — possédaient ces braves des braves. C’étaient aussi des professeurs incomparables. À eux était généralement confié l’enseignement du chant dans les maîtrises attachées aux églises et entretenues aux frais de celles-ci. Quelques-unes de ces écoles étaient célèbres. C’étaient de véritables académies de chant. Les élèves y affluaient et nombre de ceux-ci abandonnaient fréquemment le jubé pour se vouer à la carrière théâtrale. Mais à la suite du nouveau régime politique instauré dans toute l’Italie par mes remuants compatriotes, les maîtrises furent supprimées et remplacées par quelques conservatoires où, en fait de bonnes traditions, del bel canto, on ne conserve rien du tout.

» Quant aux Castrati, ils s’évanouirent et l’usage se perdit d’en tailler de nouveaux. Ce fut là la cause de la décadence irrémédiable de l’art du chant. Celui-ci disparaissant, l’opéra buffa (ce qu’il y avait de mieux) alla à la dérive. Et l’opéra séria ? le public qui, déjà de mon temps, se montrait peu susceptible de s’élever à la hauteur du grand art, ne témoignait plus aucun intérêt à ce genre de spectacle. L’annonce sur l’affiche d’un opéra séria avait ordinairement pour seul effet, d’attirer quelques spectateurs pléthoriques, désireux de respirer librement, loin de la foule, un air réfrigérant. Voilà pour quelles raisons et quelques autres encore, je jugeai que ce que j’avais de mieux à faire, c’était de me taire. Je me tus et cosi finita la comedia. »


Rossini se leva, serra affectueusement les mains de Wagner, ajoutant : « Mon cher monsieur Wagner, je ne saurais assez vous remercier de votre visite et particulièrement de l’exposé si clair et si intéressant que vous avez bien voulu me faire de vos idées. Moi qui ne compose