Page:Michotte - La Visite de R. Wagner à Rossini, 1906.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 52 —

Il est à remarquer, les deux maîtres ne se revirent plus.

Après la chute de Tannhäuser à l’Opéra de Paris, les journaux français et quelques journaux allemands publièrent aux dépens de Wagner de nouvelles historiettes auxquelles le nom de Rossini fut derechef mêlé. Puis des amis maladroits intervinrent — on se demande dans quel but ? — pour présenter aux yeux de Wagner l’attitude du maestro italien sous un aspect peu avantageux. Ni plus ni moins, on le faisait passer pour un faux bonhomme. Je m’efforçai d’édifier Wagner à ce sujet et de lui faire connaître l’exacte vérité[1].

Rossini, non moins contrarié, chargea entre autres, Liszt, de convier Wagner à revenir le voir, afin qu’il pût lui fournir des preuves indiscutables de sa parfaite innocence. Wagner déclina cette invitation, alléguant pour prétexte que ces racontars qui pullulaient, ne feraient que

  1. J’insistai surtout pour le décider — afin d’en finir avec la persistance de ces faux bruits — à publier in extenso le récit, de tout ce qui s’était passé lors de son entrevue avec Rossini ; de l’accueil vraiment sympathique dont il avait été l’objet ; des sujets si pleins d’intérêt qui avaient été abordés pendant le cours de leur conversation…, etc.

    Il s’y refusa. « À quoi bon ? — répondit-il. — En ce qui concerne son art et la manière dont il l’a pratiqué, Rossini ne m’a rien appris de plus, que ce que ses œuvres démontrent. D’autre part, si je rapportais l’exposé de mes théories tel que je le lui ai esquissé, ce serait pour le public, une redite aussi brève qu’inutile, puisqu’elles sont suffisamment divulguées par mes écrits.

    » Reste alors mon appréciation de l’homme. Ici, je l’avoue, je fus très surpris de constater, — rien qu’à la façon dont il m’a parlé de Bach et de Beethoven, — combien son esprit beaucoup plus nourri d’art allemand que je ne le pensais, s’est montré supérieur.

    » Il a grandi du tout au tout dans mon opinion.

    » Historiquement, le moment n’est pas encore venu de le juger. Il est trop bien portant et se promène trop en vue, le long des Champs Elysées, — (j’entends ceux qui s’étendent depuis la place de la Coucorde jusqu’à la Barrière de l’Étoile), — pour qu’il soit possible de lui assigner dès à présent, le rang qu’il occupera parmi les maitres ses devanciers et contemporains qui eux, se promènent d’ores et déjà dans les Champs-Elysées de l’autre monde. »

    Wagner persista dans cette manière de voir ; on a pu le remarquer dans l’article nécrologique qu’il consacra à Rossini en 1868. Il s’y borna à un compte rendu très sommaire de l’entrevue de 1860.