Page:Mickiewicz - Les Slaves, tome 1.djvu/47

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de la Grèce, vers les steppes du Danube inférieur. Mais les Turcs attaquèrent bientôt cet empire naissant, dont l’indépendance périt avec son existence politique dans une seule et terrible bataille, celle de Kossowo.

Après cette fatale bataille, les chefs, la noblesse, le clergé, en un mot tout ce qu’il y avait de civilisé dans le pays, fut obligé d’émigrer. Avec eux émigrèrent la puissance, les richesses, les livres, et on peut même dire les souvenirs, toutes les traditions. nationales. Le peuple seul resta ; mais ce peuple était déjà détaché de son passé ; il ne savait pas lire, il ne savait rien de son histoire ; il n’avait plus d’avenir, son existence politique venant d’être à jamais détruite. De toute son histoire il ne lui resta qu’un seul souvenir.

Toutes les pensées du peuple servien se sont donc concentrées sur ce seul souvenir, le champ de bataille de Kossowo ; toute sa poésie nationale aboutit à cette catastrophe ou à un retour douloureux vers elle. L’histoire de cette lutte qui eut lieu il y a déjà bien des siècles est sans cesse vivante dans son esprit ; n’étant distrait par nulle activité présente, par nul fait nouveau, il l’a toujours devant les yeux ; elle est pour lui d’une actualité dont on se ferait difficilement l’idée. De nos jours, le Servien qui passe par le champ de Kossowo pleure encore à ce souvenir comme s’il avait lui-même assisté au combat où périrent ses ancêtres ; il n’en parle jamais que comme d’un événement d’hier. La bataille de Kossowo joue dans la poésie servienne le même rôle