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Combattent dans Praga que la flamme consume,
Debout sur un monceau de décombres qui fume.
L’horloge à carillon est bien comme autrefois
Près de l’alcôve, dans son armoire de bois.
Il tira le cordon, l’enfant ! et la musique
Joua de Dombrowski[1] le mazurek antique.

Il court par la maison vers sa chambre d’enfant,
Celle qu’il habitait dix ans auparavant.
C’est elle : il entre… mais il recule et promène
Des regards étonnés… Qu’est-ce ? Il en croit à peine
Ses yeux… Ciel ! une dame est l’hôte de ces lieux !
Mais qui ? — Son oncle a t-il pris femme ? — Il est trop vieux.
Sa tante est en Russie ! Est-ce une domestique ?
Des livres, un piano, des cahiers de musique…
Puis c’est un pêle-mêle absolu, mais charmant.
Seules de jeunes mains savent négligemment
Ebaucher au hasard un désordre qui plaise.
Même une robe blanche est là sur une chaise,
Toute prête, attendant qu’on la mette… Voyez !
Aux fenêtres des fleurs : géraniums, œillets.

Il se penche… Par là peut-être Elle est sortie.
Prodige ! Ce verger rempli jadis d’ortie
Est un petit jardin plein de sentiers coquets,
Où menthes et gazon dessinent leurs bouquets.
La haie à jour, tracée en chiffre, par ses planches
Laisse voir des rubans de marguerites blanches.
Le parterre est humide et vient d’être arrosé :
Le seau s’agite encor tout récemment posé.
Mais son œil cherche en vain partout… la jardinière !
Elle n’est pas bien loin, car voici la barrière
Qui tremble encore. On voit la trace de ses pas
Sur le sable… Elle n’a ni chaussure, ni bas.
Sur ce sable (la neige est moins blanche et moins fine)
Cette trace est distincte et légère : on devine
Qu’un pied mignon a dû la laisser en son vol,
Qui, rapide, courait en effleurant le sol.

Le voyageur resta longtemps à la fenêtre,
Rêvant et du jardin humant l’odeur champêtre.
Il se penche plus bas (son front touche les fleurs),
Jette dans les sentiers des regards scrutateurs,
Puis les arrête encor sur la trace légère

  1. Le général Dombrowski est le chef des fameuses légions polonaises : le mazurek dont il s’agit ici, est l’hymne national polonais : La Pologne n’est pas encore morte.