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La meute tourne… Il gagne au bois… Mais l’Écourté
« Happ !… » En criant ces mots d’une voix formidable,
L’orateur s’est penché jusqu’au bout de la table.
Thadée entend son happ ! comme un coup de canon
Partir à son oreille… Et cette explosion
Les effrayant tous deux (ô maudit trouble fête),
Thadée et sa voisine ont retiré leur tête,
Ainsi que deux rameaux ensemble rattachés
Que l’ouragan sépare… Et leurs doigts, rapprochés
Sous la table, à leur place ont reculé bien vite ;
Leurs fronts se sont couverts d’une rougeur subite ;
Thadée aurait voulu cacher son embarras :
« Cher Notaire, dit-il, oh ! je n’en doute pas,
Votre chien est fort beau. S’il est aussi rapide…  »
« Rapide ? » cria l’autre : « eh quoi ! mon chien splendide
Ne serait pas rapide ?… » Et Thadée aussitôt
S’applaudit que ce chien si beau soit sans défaut,
En ajoutant ces mots : « Je l’ai vu, mais trop vite
Pour bien apprécier son extrême mérite. »

L’Assesseur à ces mots frémit ; et, furieux,
Sur Thadée avec rage il a fixé ses yeux.
L’Assesseur est moins vif, il a moins de jactance
Que le Notaire, il est de moins belle prestance ;
Mais on le craint partout ; aux diétines, au bal,
L’aiguillon de sa langue au prochain est fatal.
Il trouve des bons mots de plaisante facture
Qui dans un almanach feraient bonne figure
Et toujours très mordants. Il eut jadis du bien :
Le patrimoine entier de son frère et le sien
Ont fondu dans ses mains : une charge assez mince
Lui permet de briller encor dans la province.
Il adore la chasse : outre l’amusement
Qu’il y trouve, le son du cor, le jappement
Des chiens, tout le reporte à sa jeunesse heureuse.
Il avait ses piqueurs, sa meute était fameuse.
Il ne lui reste plus hélas ! qu’un lévrier,
Un seul, et l’on voudrait encor le décrier !
Tirant ses favoris, il s’approche impassible
Et dit en souriant d’un sourire terrible :
« Un lévrier sans queue, un noble sans emploi,
C’est tout un : sans la queue on n’est rien d’après moi ;
Et vous louez un chien, dont la queue est absente !
Du reste demandez plutôt à votre Tante.
Madame Télimène a longtemps habité