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Respectez donc aussi, messieurs, mes cheveux blancs.
J’ai vu d’autres chasseurs que vous, et de plus grands,
Et qui dans leurs débats me prenaient pour arbitre.
Qui donc mieux que Reytan a mérité ce titre ?
Pour faire une battue ou prendre un sanglier,
A Bialopiotrowicz qui peut se comparer ?
Żegota qui tuait un lièvre d’une balle
De pistolet, qui donc en adresse l’égale ?
J’ai vu Terajewicz qui se faisait un jeu
D’aller au sanglier avec un simple épieu ;
Budrewicz sur un ours remportait la victoire :
Voilà ceux dont nos bois ont gardé la mémoire.
En cas de différends, comment procédait-on ?
On prenait un arbitre, on payait caution ;
Ogiński pour un loup mit tout un bois en gage,
Nesiolowski, pour un blaireau, tout un village.
Vous avez un débat ; imitez-les, Messieurs,
Sans donner toutefois d’aussi riches enjeux.
La parole n’est rien : peut-on sécher ses lèvres
A parler si longtemps et pourquoi… pour des liévres !
Or ça, choisissez donc vos arbitres d’abord,
Et, quel que soit l’arrêt, qu’il vous mette d’accord !
On passera partout : choux, blés, pas de refuge !
C’est moi qui le demande à notre ami le Juge.
Il voudra bien, je crois, faire cela pour nous. »
Il dit : sa main du Juge a pressé les genoux.

— « J’offre, dit le Notaire, un cheval et sa selle,
Et de plus je promets en forme solennelle
Au Juge cette bague à titre de paiement. »
— « Et moi, dit l’Assesseur, j’engage également
Mes colliers d’or doublés de chagrin, et ma laisse
En soie, et dont l’ouvrage, est, sans qu’il y paraisse,
Aussi beau que sa pierre aux feux étincelants.
Je voulais la léguer un jour à mes enfants
Si jamais je prends femme : elle me fut donnée
Jadis par Radziwiłł[1] dans l’illustre journée
Où je luttais avec le, prince Maréchal
Sanguszko, que suivait Meïen, le général[2].

  1. Le prince Dominique Radziwiłł, grand amateur de chasse, émigré dans le grand-duché de Varsovie, monta à ses frais un régiment de cavalerie. Il mourut à Paris, après avoir fait construire le passage qui porte son nom. Avec lui s’éteignit la branche aînée des princes de Nieśwież, les plus grands seigneurs de Pologne et sans doute de l’Europe entière. Ses revenus étaient plus considérables que ne le sont aujourd’hui ceux de la reine d’Angleterre.
  2. Le général Meïen se distingua dans la guerre d’indépendance sous Kościuszko(1794). On montre encore à Vilna les remparts de Meïen.