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Car il reprend gaîment : « Que faire, dans ce cas ?
J’aurais, voulu finir tout ceci sans tracas.
Mais pourquoi se fâcher ? Cela peut vous déplaire,
C’est votre droit ; tant pis ! Surtout, pas de colère !
Moi, je ne suis qu’un tiers ; on ne vous force en rien.
Vous refusez Thadée en résumé ; c’est bien.
Je répondrai là-bas que je ne suis pas cause
S’il faut que l’on renonce à ce qu’on se propose.
Je reviens à mon plan. Avec le Président
Nous aurons en deux jours fait notre arrangement. »

Télimène pourtant apaise sa colère :
« Je ne refuse rien : pas si vite, mon frère !
Vous l’avez dit vous-même, il est encor trop tôt :
Attendons, agissons prudemment, comme il faut.
Donnons aux jeunes gens le temps de se connaître ;
Avec réflexion le sentiment doit naître.
Mais n’allez pas au moins forcer votre neveu
A l’aimer ; gardez-vous de souffler sur le feu.
Le cœur n’a pas de maître et n’est pas un esclave,[1]
Et de toute contrainte il sait briser l’entrave. »

Le Juge alors se lève et s’éloigne pensif ;
Thadée à ce moment se rapproche furtif.
Ce sont des champignons qu’il cherche en apparence :
Et du même côté le Comte alors s’avance.

Tandis qu’avec sa sœur le Juge conférait,
Le Comte, de derrière un gros arbre, admirait.
Il a pris son crayon, puis une feuille blanche
Qu’il a toujours sur lui ; sur une large branche
Il étend son papier : il dessine un croquis
En se disant tout bas : « Quel groupement exquis !
L’une sur le gazon et l’autre sur la pierre !
Contraste dans les traits, têtes à caractère ! »
Il allait, s’arrêtait, essuyait son lorgnon,
Clignait des yeux, semblait plein d’admiration.
« Ce spectacle charmant, ce ruisseau, cette roche,
Vont-ils changer encore ou fuir à mon approche ?
Ai-je pris des pavots pour de moelleux gazons ?
Ma nymphe est-elle encor la pastoure aux oisons ? »

Le Comte chez le Juge avait vu Télimène,
Car il venait chez lui presque chaque semaine,

  1. Ces vers sont tirés d’une chanson populaire très connue.