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Grand bruit à Soplitzow. Mais ni les aboiements,
Ni les chariots grinçants, ni les hennissements,
Ni des trompes la voix sonore ou saccadée
De son profond sommeil n’ont pu tirer Thadée.
Sur son lit non défait il dort tout habillé.
Parmi ses compagnons nul ne l’a réveillé ;
Chacun au rendez-vous court et chacun se presse.
Tant pis pour le dormeur s’il cède à la paresse.

Il ronfle. Le soleil, par l’ouverture en cœur
Qui perce le volet, sur le front du dormeur
Fait tomber du dehors un faisceau de lumière.
Il veut dormir, se tourne en avant, en arrière
Pour fuir le jour… Soudain il se frotta les yeux :
Il entendait frapper : son réveil fut joyeux.
Léger comme l’oiseau, largement il respire ;
Tout heureux, à lui-même il semble se sourire :
Il pense à ce qu’hier il goûta de bonheur :
Il rougit, il soupire, il sent battre son cœur.
Il regarde… O merveille ! Oui, dans cette colonne
Lumineuse, un visage angélique rayonne !
Il voit briller deux yeux, deux yeux épanouis
Et qui plongent dans l’ombre encor tout éblouis.
Une petite main sur ces deux yeux se pose
Pour les mieux abriter, léger éventail rose ;
Et cinq doigts effilés, doux et souples écrans,
Opposent aux rayons leurs rubis transparents.
Puis il voit s’entr’ouvrir deux lèvres curieuses
Qui découvrent deux rangs de perles radieuses…
Ce visage, abrité des rayons, du soleil,
N’en scintille pas moins, tout rose et tout vermeil.
Thadée avait son lit juste sous la fenêtre :
Il admire ce front qu’il ne peut reconnaître
Et qu’il sent là tout près, touchant presque le sien ;
Est-ce un être réel qu’il aperçoit ? ou bien
Rêve-t-il quelqu’un de ces charmants visages
Dont nos songes d’enfants nous tracent les images ?
Ce visage se penche… Et Thadée a tremblé
De frayeur et de joie… Il revoit, tout troublé,
Ces mêmes cheveux courts et ces boucles dorées
De petits papiers blancs savamment entourées,
Qui brillent au soleil et qui forment encor
Comme aux portraits des saints une auréole d’or[1].

  1. Dans le texte ces vers sont identiques à ceux du premier livre. Les nécessités de l’alternance des rimes ont forcé le traducteur à les modifier ici.