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De réseaux d’herbe épaisse et de fourmilières,
De nombreux nids de taons, de guêpes, de vipères.
Si ce rempart vivant n’a pu vous arrêter,
À de plus grands périls il faut vous apprêter.
Plus loin, à chaque pas, comme des chausses-trappes,
De petits lacs sous l’herbe ont étendu leurs nappes.
Jamais jusqu’à leur fond n’a pénétré le jour,
Et les diables y font sans doute leur séjour.
Ces lacs sont tout luisants d’une sanglante rouille,
Et leur fétide odeur empoisonne et dépouille
Les arbres d’alentour, qui végètent chétifs,
Chauves, nains, vermoulus, rabougris, maladifs.
Inclinant leurs rameaux tout léprosés de mousse,
Courbant leurs troncs barbus où le champignon pousse,
On dirait sur ces eaux des sorcières, chauffant
Leurs mains sur un chaudron où cuit un corps d’enfant.

Au-delà de ces lacs nul homme ne pénètre ;
Le regard même en vain cherche à s’y reconnaître :
À travers le brouillard on ne voit rien paraître.
Ce brouillard sort toujours de marais malfaisants.
Mais au delà, s’il faut croire les paysans,
S’étend une contrée admirable et féconde,
Chef-lieu des animaux et des plantes du monde.
De là seraient sortis tous les arbres divers
Qui se sont répandus depuis dans l’univers
Comme dans l’Arche, ici la divine sagesse
Garde toujours un couple au moins de chaque espèce.
C’est au centre, dit-on, que l’on voit les palais
De l’urus, du bison, de l’ours, rois des forêts
Sur les arbres près d’eux, nichent, faces sinistres,
Et le lynx et l’ourson, leurs vigilants ministres.
Plus loin sont relégués les vassaux moins fameux,
Les sangliers, les loups et les élans rameux.
Les aigles, les faucons, voltigent sur leurs têtes.
Vils courtisans, vivant aux crocs des rois des bêtes.
Ces couples d ’animaux, vrai cénacle sacré,
Cachés dans ce lieu saint où nul n’a pénétré,
Aux frontières des bois envoient des colonies ;
Mais eux ne quittent point leurs retraites bénies.
Ils ne périssent pas sous la balle ou l’épieu,
Mais, quand ils ont vieilli, rendent leur âme à Dieu.
Ils ont leur cimetière, où, quand la mort s’apprête,
Vient déposer ses os chaque oiseau, chaque bête.
Quand l’ours n’a plus de dents et ne peut plus manger,