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Chrétienté. Mais le latin doit être écarté. Pour ne pas vous retenir trop longtemps, je ne vous donnerai que deux des raisons qui rendent le latin impropre à ce rôle. La première est qu’il est trop difficile ; la seconde qu’il serait incapable de se plier aux exigences de la civilisation moderne. Je ne développe pas ces raisons, je me contente de renvoyer ceux d’entre vous qui désireront de plus amples éclaircissements à notre future bibliothèque espérantiste. Cependant, il est une remarque que je vous prie de faire : c’est que le latin, jouissant aujourd’hui en Europe et en Amérique d’une sorte d’internationalité de fait, puisqu’il est, avec la seule exception des langues maternelles, la langue la plus cultivée, je dis la langue la plus étudiée, celle à qui l’on consacre le plus d’heures d’enseignement, est moribond, mourant ou mort, je ne sais plus au juste lequel des trois peut-être les trois à la fois[1]. Qui, d’entre les 6 ou 7 000 bacheliers que nous lançons bon an mal an dans la circulation ; qui, d’entre les 40 ou 50 000 camarades de nos bacheliers français, gradués des Universités d’Allemagne, d’Angleterre, d’Espagne ou d’Italie, etc., etc., serait capable de rédiger en latin le moindre menu ou d’effectuer la moindre transaction commerciale ?

Et c’est ce moribond que l’on voudrait ressusciter ! Non, Mesdames et Messieurs, laissons les morts enterrer leurs morts.

On a proposé encore d’adopter comme langue auxiliaire une des langues actuelles. Mais laquelle ? Tous les peuples proposant la leur avec un patriotisme égal et des raisons également convaincantes, nous attendrons, pour en reparler, que l’accord se fasse. Et comme il est à craindre que nous n’ayons longtemps à attendre et que le temps presse, nous ferons bien de chercher autre part ce qu’il nous faut.

D’ailleurs, une des objections qui nous font écarter le latin doit également nous faire écarter les langues vivantes actuelles, aussi bien le français que l’anglais ou l’allemand, les trois seules langues proposées avec quelque chance de succès. Ces trois langues sont trop difficiles, et j’en parle avec quelque compétence en ma qualité de professeur de langues. La première et principale qualité de la future langue internationale devra être sa facilité d’acquisition et j’ajoute sa rapidité d’acquisition. Nos langues modernes si compliquées, si bizarrement, si illogiquement prononcées, accentuées et orthographiées, sont des langues de mandarins, inaccessibles au grand public, donc impossibles.

Autre objection : l’adoption d’une langue vivante actuelle donnerait au peuple privilégié dont elle serait la langue maternelle

  1. Il est évident que ce qui est dit ici du latin n’infirme en rien sa valeur comme instrument de culture générale.