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INTRODUCTION.


tion du devoir. Mais en outre, comment faire l’association de l’idée de bonheur à celle de devoir, quand on ne peut naturellement sentir d’autres jouissances que celles du bien-être physique ou de l’orgueil, après surtout qu’on a admis l’opposition de deux tendances, dont l’une dit : Sois heureux, et l’autre Sois vertueux ? Comment concevoir que le vice soit divine de punition, quand on ne peut rationnellement reconnaître ni lois morales, ni sanction, ni législateur ? De quelles infractions l’homme prétendu vicieux pourrait-il être puni, et par qui ? Ce qui étonne surtout, c’est que l’induction philosophique, reconnue absolument impuissante et incapable d’arriver à aucun résultat dans la Critique de la raison pure, acquiert tout à coup, dans la Théorie de la raison pratique, une puissance magique de synthèse telle, qu’elle s’élève en un instant des conséquences les plus complexes au principe le plus simple. Ce principe, qui est Dieu. est déduit comme dernière conséquence, et cependant quel édifice rationnel de morale peut-on élever en dehors de cette pierre fondamentale ?

Nous ne suivrons point Fichte, Schelling et les autres disciples du philosophe allemand, qui ont successivement tenté de modifier de diverses manières le système de leur maître. Qu’il nous suffise de faire observer qu’ils n’ont, comme Kant, considéré le bien que par rapport à la liberté humaine et n’ont pas plus recherché que lui quelle est la nature du bien en soi. Nous allons porter un instant nos regards sur les théories les plus modernes des rationalistes. Moins imprévoyants que le chef de leur école, ils ont voulu éviter les embarras qu’il s’est crées dans sa Théorie de la raison pratique pour l’établissement, par voie de conséquence, des dogmes fondamentaux de la morale. Ils ont jugé, et avec raison, qu’il était beaucoup plus commode de prendre les choses à l’état où elles se trouvent dans une société civilisée par le christianisme, que de tenter de vains efforts pour s’élever rationnellement à la connaissance d’un Etre infini, créateur, de l’immortalité de l’âme. de la fin de l’homme, des moyens par lesquels il doit se diriger vers elle et de la nature du devoir, toutes vérités indispensables pour l’organisation de tout système de morale.

Nous commençons par M. Cousin, qui, grâce à sa position sociale plutôt qu’à son génie, est regardé comme le coryphée de l’école rationaliste française. Voyons comment il s’explique sur la nature du bien moral et sur l’origine des idées qui s’y rattachent. D’abord, dit-il (Leçons de 1829, III° vol., p. 2iî4), que dans l’entendement humain, tel qu’il est aujourd’hui, il y ait l’idée du bien et l’idée du mal tout à fait distincts l’un de l’autre, c’est ce que l’observation la plus superficielle, pourvu qu’elle soit impartiale, démontre aisément c’est un fait, qu’en présence de certaines actions la raison les qualifie de bonnes ou de mauvaises, de justes ou d’injustes, d’honnêtes ou de déshonnêtes. Et ce n’est pas seulement dam quelques hommes d’élite que la raison


porte ce jugement ; il n’y a pas un homme, ignorant ou instruit civilisé ou sauvage, pourvu qu’il soit un être raisonnable et moral, qui ne porte le même jugement. Nous demanderons d’abord à M. Cousin pour quel motif il ne cherche la notion de moralité que dans l’entendement humain tel qu’il est aujourd’hui. S’il ne regarde pas celle notion comme étant innée, ce que l’expérience combat victorieusement, quelle autre origine peut-il lui assigner qu’une révélation positive transmise de génération en génération avec plus ou moins de développement ou d’altération ; puisque l’induction philosophique ne peut, même dans notre siècle, conduire à un tel résultat ? Mais quelle théorie rationnelle prétend-il établir sur un fait qui est inexplicable dans ses principes ? Qu’il est aisé de philosopher naturellement, en se basant sur des principes d’origine surnaturelle 1 mais aussi, quel aveuglement de le faire sans s’en apercevoir, ou quelle mauvaise fui de ne pas vouloir en convenir Quel est le caractère des actions que la raison qualifie de bonnes ou de mauvaises, soit dans l’état de civilisation, soit dans l’état sauvage ? C’est ce qu’il eût été de la plus haute importance de déterminer, et c’est cependant ce que notre penseur n’a point fait, sans doute parce que la tâche lui a paru trop difficile. Encore, pourquoi telle action est-elle réputée bonne et telle autre mauvaise ? C’est précisément ce pourquoi qu’aurait dû chercher notre moraliste naturel, c’est là que doit être l’essence même du bien. Mais, prétendent quelques-uns, les idées simples, autant qu’indécomposables, sont inexplicables el claires par elles-mêmes, et telle est l’idée du bien. Si cette idée était aussi claire, les philosophes n’auraient pas fait pendant près de trois mille ans d’inutiles efforts pour la mettre en lumière. Quelle est la solution définitive à laquelle la raison soit jamais parvenue ? Qu’on ne nous parle pas d’une loi rationnelle a priori cela n’explique rien, et l’obligation morale qu’on en fait résulter est tout aussi imaginaire que [’impératif catégorique de Kant. Cependant M. Cousin a semblé aborder quelque part la question de la nature du bien ; mais ce n’est que pour faire de celui-ci un point de vue purement intellectuel, une simple abstraction qui n’est pas même une idée générale c’est l’être envisagé dans ses rapports avec la volonté, et par conséquent sous le point de vue pratique. Peut-on concevoir qu’une bonne action ne suit rien de réel, de positif ? Pourquoi donc faire des théories pour ne rien dire ? Pourquoi d’un autre côté méconnaître l’origine des seuls principes que l’on puisse invoquer en morale ? il nous est plus facile de trouver ces pourquoi qu’il ne l’est à M. Cousin de satisfaire à celui de la bonté des actions, sans avoir recours à la révélation divine.

M. Jouffroy fait consister le bien dans la fin des êtres. L’idée, dit-il (Cours de droit naturel, tom. 111, p. 101), par laquelle je tra~duis l’idée du bien, c’est celle de fin. Je dis qu’il est évident pour tout homme, d’abord