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INTRODUCTION.


qu’il a une fin, ensuite que cette fin est un bien ; que cette fin est précisément ce qui est caché pour lui sous le mot de son véritable bien. Je vous le demande, messieurs, est-il ou n’est-il pas vrai, sentez-vous qu’il y ait ou non équation absolue entre ces deux choses : la fin d’un être est son véritable bien ? N’est-ce pas une chose évidente que tout être a une fin : quelle est cette fin ? C’est son bien, son véritable bien ; c’est là en quoi consiste, pour tout être intelligent et libre, son véritable bien, et par conséquent son devoir. Quiconque va de toute sa force à la fin pour laquelle il a été créé fait ce qu’il doit faire. L’illustre professeur donne cette idée comme une merveille qu’il vient de découvrir ; écoutons saint Thomas sur cette matière. Après avoir défini la fin et conclu qu’elle est le principe des actions de l’homme : Inferes 2°, continue-t-il, finem et bonum idem esse matérialiter, quia voluntas non potest moveri nec allici, nisi a bono vero vel apparente, quod est ejus objectum adœquatum : differunt tamen formaliter, quia bonum dicitur prout est conveniens appetitui, finis prout movet ad média ; est enim id cujus gratia aliquid fit. (1-2, q. 1, 0. a. 3, 0.) Nous serions curieux de connaitre les principes naturels qui ont déterminé M. Jouffroy à admettre que l’homme a une fin. Cessons toutefois de les chercher, puisqu’il déclare, on en conçoit le motif, que la chose est évidente, et qu’il suppose comme une idée reçue que l’homme ait été créé pour une fin. Il interroge ses auditeurs et les invite à témoigner de l’évidence de la vérité qu’il se propose d’établir. Ceux d’entre eux qui se rappelaient encore leur catéchisme, devaient être aussi étonnés de ce nouveau genre d’évidence que de l’embarras du professeur de droit naturel. Quoiqu’il en soit, cette fin est dite le véritable bien de tout être intelligent et libre, et par conséquent son devoir. Comment la fin peut-elle être naturellement reconnue identique au véritable bien ? comment la fin est-elle le devoir ? c’est ce qu’il n’est pas facile de concevoir. Au moins saint Thomas, qui raisonne ostensiblement d’après les vérités révélées, après avoir dit que la fin et le bien sont matériellement identiques, ajoute-t-il qu’ils diffèrent formellement, c’est-à-dire dans leur manière d’être par rapport à nous, en ce que le bien est dit tel comme étant l’objet de nos désirs, et que la fin nous porte à l’emploi des moyens. Or c’est dans le choix volontaire de ces moyens, inculqués par la volonté suprême, que consiste le bien moral, lequel n’est autre chose que l’observance de l’ordre, que le docteur angélique définit ailleurs : Id quod est a principio cum cognitione finis. C’est encore à la ressource si commode de l’évidence que M. Jouffroy a recours pour l’établissement de son édifice moral. Le problème moral, dit-il, trouve sa solution dans un certain nombre de vérités évidentes par elles-mêmes, conçues a priori par la raison… On est toujours à se demander comment des hommes qui occupent de telles positions sont assez inattentifs pour confondre avec l’évidence l’enseignement traditionnel des sociétés chrétiennes.

M. Perron, professeur de philosophie à la faculté des lettres de Besançon, met à découvert dans son Essai d’une nouvelle Théorie sur les idées fondamentales de l’entendement humain, et le vide et les contradictions des systèmes philosophiques modernes. Examinons brièvement s’il a été plus sage, plus impartial, plus clairvoyant que ceux qu’il combat sur la question qui nous occupe. Il déclare (p. 282) accepter en entier la théorie de M. Jouffroy sur l’obligation morale, en substituant au mot fin celui d’ordre, qui, selon lui, exprime l’idée complète de bien. L’ordre, en effet, dit-il (p. 271), embrasse à la fois la fin, les moyens, leur disposition, leur usage et leurs rapports. Si l’ordre est le bien, comme il existe indépendamment de nous, en sera-t-il de même du bien ? qui dit ordre dit disposition de moyens dans un but quelconque, et par conséquent principe disposant. Nous demandons si le principe de l’ordre est dans l’homme ou hors de l’homme : s’il est dans l’homme, celui-ci est à soi-même sa fin, ce qui détruit toute morale s’il est hors de l’homme, comme il est identique au bien, celui-ci ne pourra se produire dans l’homme. Mais notre auteur n’a pas songé que l’idée de principe est aussi essentiellement renfermée dans la conception de l’ordre que celles de fin et de moyens. Cependant il fait entrer l’être dans l’ordre quand il a une fin, des moyens disposés pour l’atteindre, qu’il les y emploie régulièrement, et qu’il est avec les autres êtres dans des rapports convenables. Nous concevons que l’emploi des moyens disposés pour une fin établisse un être dans l’ordre, ce qui ne fait plus confondre, comme précédemment, celui-ci avec le bien ; mais on nous laisse toujours désirer l’établissement rationnel et du principe de l’ordre, et de la fin de l’homme avec les vérités qu’elle suppose, et des moyens disposés pour la fin et de l’existence de l’ordre moral lui-même. Nous nous trouvons donc dans la nécessité d’appliquer à M. Perron ses propres paroles. La philosophie moderne se contente de constater le fait de l’obligation morale, elle n’en recherche pas le pourquoi, la cause (p. 290).

Considérons maintenant si M. Perron a raison de s’élever comme il le fait contre la théorie de ceux qu’il appelle philosophes de l’école théologique, théorie qu’il regarde comme la plus faible, la moins philosophique. Des philosophes de l’école théologique, dit-il, ont fait consister le bien dans la volonté de Dieu : ce que Dieu veut est bien, ce qu’il ne veut pas est mal ; il n’y a plus, à proprement parler, de bien en soi, mais cela seul est bien ce qui est prescrit par la volonté divine (p. 258). Nous demanderons d’abord à notre critique de quelle source il fait dériver les moyens dont l’emploi régulier constitue selon lui un être dans l’ordre (p. 272). Sont-ils innés ? Mais ils devraient être universels pour les temps, les lieux et les âges, ce que la lecture et l’observation la plus superficielle sont loin de nous inculquer. Sont-