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Page:Migne - Encyclopédie théologique - Tome 49.djvu/456

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909 TRAITE HISTORIQUE DES DIEUX ET DES DEMONS DU PAGANISME 910


qu’il y pose sans preuve, tout l’ouvrage tombera de lui-même.

Cependant la doctrine qu’il réfute n’est pas du nombre de ces choses dont la seule proposition porte sa réfutation. Elle est vénérable par son antiquité, universelle par sa créance, soutenue de preuves au moins assez spécieuses car le sentiment que le monde a du diable a assez de vraisemblance (Liv. i, p. 5). Il devait donc fonder son système sur de bons arguments tirés de l’Ecriture et de la raison. C’est la maxime de tous les auteurs, et particulièrement de ceux qui avancent des nouveautés. Un homme judicieux ne se contente pas de lire un auteur qui s’évapore en des spéculations creuses, pour savoir ce que la chose n’est pas. On veut savoir ce qu’elle est positivement en elle-même, se repaître de quelque chose de solide, qui établisse dans l’esprit une pleine certitude. Mais il est surtout indubitable que, quand il s’agit de donner des expositions nouvelles à l’Ecriture sainte, on ne le doit faire qu’après les avoir appuyées de preuves incontestables puisées dans la révélation même. On ne saurait assez se précautionner à cet égard. Ce sont des limites sacrées que l’on ne doit toucher qu’avec une profonde vénération et lorsque l’on s’émancipe jusque-là, on doit au moins le faire sérieusement, et ne point égayer les explications que l’on en donne de certains traits plaisants qui, quoique du goût du vulgaire sont extrêmement fades à des âmes pieuses et à des esprits solides, qui cherchent des preuves sérieuses et convaincantes.

De là vient que l’auteur, ayant posé sans raison certains principes qui sont l’état de la question, ne réussit pas mieux dans les explications qu’il donne aux textes sacrés. En voici une preuve, entre une infinité d’autres que nous pourrions alléguer. Par exemple, qu’y a-t-il de plus simple que l’histoire de la séduction d’Eve par le serpent, que nous lisons au chap. iii du-livre de la Genèse ? Si vous y rapportez les passages du Nouveau Testament qui y ont un rapport nécessaire, il parait que ce fut le diable qui se servit du serpent pour séduire la femme. Tous les docteurs juifs ont reconnu cette vérité, et la simplicité de l’histoire ne nous permet pas de l’expliquer autrement. Cependant l’auteur y fait nattre un si grand nombre de difficultés, que l’on ne sait ce que le Saint-Esprit a voulu dire. Le serpent dit à la femme, c’est-à-dire, selon lui, que le serpent ne dit rien. Et la raison en est, qu’il n’avait pas les organes nécessaires pour former une voix humaine. Ce ne pouvait être encore le diable qui se serait servi du serpent comme d’un organe pour parler car, outre que l’on ne saurait concevoir comment un esprit peut agir sur un corps, il y aurait toujours la même difficulté, à savoir comment le diable aurait pu s’énoncer d’une manière intelligible, puisque le serpent dont il se serait servi n’aurait pas eu les facultés requises pour parler. Après cette belle dissertation, il laisse son lecteur dans un labyrinthe de


difficultés, sans lui donner le moindre secours pour en sortir et le met dans la nécessité de dire : Elias veniet. Ce ne fut ni le serpent ni le diable qui parlèrent séparément ou conjointement on ne peut pas dire que ce fut Dieu ou un ange, ou Adam, ou Eve qui était-ce donc ?

Je ne dirai pas qu’il y a du mystère caché sous l’odieuse exagération de ces difficultés, mais je remarquerai que cette preuve que le diable n’a pu parler par le serpent, parce qu’un esprit ne peut agir naturellement sur un corps, et que le serpent n’a pas les organes requis est une chose qui, quoique vraie dans la philosophie, est entièrement fausse par rapport à Dieu, qui peut aussi bien faire agir le diable sur un serpent, que l’âme sur le corps humain, et le faire parler avec la même facilité que l’âne de Balaam et ainsi, dire que cela ne se peut naturellement, c’est ne rien dire, puisqu’il s’agit là d’une chose surnaturelle. Il fallait donc avoir prouvé que ces sortes d’opérations répugnent non-seulement aux propriétés naturelles du corps et de l’âme mais aussi à la volonté de Dieu. C’est cependant sur cette fausse supposition que roulent toutes les nouveautés de M. Bekker et si je voulais vous en faire l’énumération, il faudrait copier une grande partie de son ouvrage.

Mais ce n’est pas mon dessein d’insister sur ces remarques générales, ni d’examiner si l’auteur croit à l’existence des anges et des démons. Il ne donne que trop de soupçons de douter de son orthodoxie sur cette doctrine ce ne sont que difficultés lorsqu’il s’agit.de ces esprits, et à peine trouverez-vous un passage dans l’Ecriture sainte qui en parle ; tout y est mystérieux et allégorique. Les noms propres d’anges, de diables, de démons, etc., ne sont pour lui que des hommes envoyés, des calomniateurs, de mauvaises pensées, ou tout au plus de purs symboles, pour nous donner quelque idée métaphorique de la majesté de Dieu. Lisez Monsieur, avec attention son second livre, depuis le chapitre ix° jusqu’au xx° inclusivement, et vous n’y trouverez que trop de raisons pour justifier mon accusation.

Je ne dirai rien non plus des divers motifs qui peuvent l’avoir poussé à publier son système en langue vulgaire, ni de sa capacité sur cette matière, ni de l’ordre qu’il y a observé, ni de son style, parce que je dois respecter l’âge de M. Bekker et que la charité chrétienne ne me permet pas de m’attacher au personnel. Ce sont seulement les erreurs que je combattrai.

M. Bekker me pardonnera cependant si je me plains des imitations odieuses dont il charge notre doctrine. La chose est trop importante et trop souvent répétée dans ses livres, pour n’en rien dire. Permettez-moi donc, Monsieur, de justifier notre créance. Voici son accusation : C’est maintenant un point de piété, que l’on craigne véritablement Dieu, et que l’on craigne aussi le diable ; si cela n’est pas, on passe pour un athée, c’est-à-dire pour un homme qui ne croit point de