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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

blesse, il les donnait à l’ancienneté. La plupart des officiers étaient attachés à l’ancien régime, et ils ne s’en cachaient pas. Obligés de prêter le serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, qui était devenu le serment commun, les uns quittaient l’armée et allaient grossir les rangs de l’émigration, les autres cherchaient à gagner les soldats à leur parti.

Le général Bouillé était de ce nombre : après avoir longtemps refusé le serment civique, il l’avait enfin prêté dans cette intention. Il avait sous son commandement des troupes assez nombreuses ; il était voisin de la frontière du Nord, habile, résolu, attaché au roi, ennemi de la révolution, telle qu’elle était devenue, quoique partisan d’une réforme, ce qui le rendit par la suite suspect à Coblentz. Il maintint son armée séparée des citoyens, afin qu’elle demeurât fidèle, et qu’elle ne prît pas l’esprit d’insubordination qu’ils communiquaient aux troupes. Il sut aussi conserver, par une conduite ménagée et par l’ascendant d’un grand caractère, la confiance et l’attachement des soldats. Il n’en était pas de même ailleurs. Les officiers étaient l’objet d’un déchaînement général ; on les accusait de diminuer la solde, et de ne rendre aucun compte des masses militaires ; les opinions s’y mêlaient aussi. Ces causes réunies excitèrent des révoltes de la part des soldats. Celle de Nancy, en août 1790, produisit de vives alarmes, et devint presque le signal d’une guerre civile. Trois régiments, celui de Châteauvieux, celui de Maistre-de-camp et celui du Roi, s’insurgèrent contre leurs chefs. Bouillé reçut ordre de marcher sur eux ; ce qu’il fit à la tête de la garnison et des gardes nationales de Metz. Après un combat assez vif, il les soumit. L’assemblée l’en félicita ; mais Paris, qui voyait dans les soldats des patriotes, dans Bouillé un conspirateur, fut dans l’agitation à cette nouvelle. Des attroupements se formèrent, et l’on demanda l’accusation des ministres qui avaient donné l’ordre à Bouillé de marcher contre Nancy. Néanmoins Lafayette parvint à dissiper les mécontents, secondé par l’assemblée qui, se voyant entre la contre-révolution et l’anarchie, s’opposait à l’une et à l’autre avec la même sagesse et le même courage.